Kaïs Saïed n’épargnait personne lors du discours à la Nation prononcé dans la soirée du lundi dernier. Alors, il était prévisible que la réaction de la classe politique tunisienne dans l’ensemble fut hostile, agressive et excessive. Il y avait comme un goût de revanche dans l’air.
Décidemment, le président de la République Kaïs Saïed semble exceller dans l’art de se mettre tout le monde à dos. Et ce, en n’épargnant personne; y compris ses anciens compagnons de route. La preuve?
Tout le monde en a pris pour son grade
Dans la soirée du lundi 13 décembre, le chef de l’Etat prononçait en effet un discours à la Nation d’une quarantaine de minutes. Or, pas moins d’une trentaine de minutes furent consacrées à un règlement de compte en règle.
Et c’est sur un ton va-t-en-guerre qu’il s’attaquait ex abrupto: au dictat des pays du G7; aux formations politiques qui lui auraient tourné le dos car elles n’ont pas reçu de portefeuilles ministériels en échange; à Mohammed Abbou, sans jamais le nommer, soupçonné de s’être vanté de lui avoir soufflé l’idée de recourir à l’article 80. Et même au SG de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi, coupable lui aussi d’avoir proposé une troisième voie. « Et pourquoi pas une 4ème, une 5ème ou une 6ème voie », l’avait apostrophé Kaïs Saïed sur un ton moqueur et méprisant.
Se sent-il fort du soutien populaire dont il se targue qui lui est définitivement acquis? Grave erreur dont il subira un jour les conséquences.
Le pont-levis définitivement levé?
Alors quoi de plus normal que les réactions de la classe politique décriée, injuriée et traitée de tous les noms soient hostiles, voire agressives, à l’égard du président de la République.
« Je suis l’État, je suis le Président, je suis le gouvernement, je suis le Parlement, je suis la justice, je suis le peuple, je suis le prophète infaillible. Et quiconque me critique ou s’oppose à moi est soit un menteur, un traître, un voleur, un agent soit un ignorant ». Ainsi, Hichem Ajbouni, du Courant démocrate résumait sur sa page FB la rancœur des députés gelés. Sachant que cette formation politique avait chaleureusement applaudi les mesures exceptionnelles du 25 juillet.
Pour la présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi, les élections législatives du 17 décembre 2022 offrent l’opportunité au parti islamiste de s’ancrer. « Une année entière leur a été accordée pour s’organiser et se préparer à un éventuel retour à l’ARP. Ils auront tout le temps pour collecter les financements de l’étranger pour leur campagne électorale ». Ainsi avertissait-elle, via une vidéo sur sa page Facebook officielle.
« Kaïs Saïed continue de diviser les Tunisiens. Il s’est engagé à appliquer son projet politique au lieu de combattre la corruption. Un projet qui rappelle celui de Mouammar Kadhafi ». C’est ce qu’affirmait, sarcastique, Mohamed Abbou, l’ancien secrétaire général du Courant démocrate. Il s’exprimait en ce sens, lors d’une déclaration accordée hier mardi à la chaîne Al Jazeera.
Diviser pour mieux régner…
Le SG du Parti Républicain, Issam Chebbi, estimait quant à lui, lors d’une conférence de presse mardi 14 décembre, que « Kaïs Saïed continue de diviser les Tunisiens. Et de procéder au coup d’État contre la constitution et la démocratie. Et ce, après avoir trouvé un large consensus national entre toutes les forces nationales ».
« Le président est contre tout le monde, y compris ceux qui l’ont soutenu. La Tunisie est entrée dans un virage très dangereux qui conduira le pays à la destruction. D’autant plus que la feuille de route qu’il a proposée n’a pas tenu compte de la situation économique et sociale du pays ». Ainsi s’écriait le SG du parti Ettakatol Khalil Zaouia. Et ce, lors de la conférence de presse donnée en commun avec le Parti Républicain.
Commentant depuis l’étranger le discours du président de la République, le gendre récemment botoxé et relooké de Rached Ghannouchi, Rafik Abdessalem, se fendait également d’un post publié sur sa page Fb. Il déclarait donc que « la bataille que mène Saïed contre ce qu’il appelle le troisième rang qui l’a soutenu dans le coup d’État du 25 juillet est plus intense et féroce que sa bataille avec les opposants au coup d’État. Cela indique que Saïed tient à diriger ses flèches, son déluge d’insultes et d’injures contre tous. Pour ne laisser avec lui qu’une partie de sa famille et de sa bande à Carthage ».
Soutiens bien timides à Kaïs Saïed
Cependant, notons tout de même que quelques formations politiques peu pesantes dans l’échiquier politique approuvent le discours du chef de l’Etat, dont le recours au référendum. Ce sont: la Coalition pour la Tunisie, le parti Baath et le parti Tunis en avant. En estimant que « les mesures annoncées clarifient la voie pour une année à venir qui culminera avec des élections démocratiques ». Et que « l’allocution du président de la République exprime les aspirations de la majorité des Tunisiens à libérer le pays des corrompus et des agents qui ont infiltré les institutions du gouvernement et de l’État ».
Maigre consolation pour le locataire du palais de Carthage. Lequel devra, désormais, cohabiter avec les affres de la solitude.