Kaïs Saïed est-il un nouveau Kadhafi? Pour Samir Dilou, le président de la République compte instaurer « une Jamahiriya sans Kadhafi et sans pétrole ». Tandis que selon l’éditorialiste d’Europe 1, l’appel à des consultations populaires pour discuter d’amendements constitutionnels et électoraux « rappelle la Jamahiriya libyenne ».
Drôle de coïncidence. Invité le 15 décembre 2021 par Elyes Gharbi sur les ondes de Mosaïque FM, Samir Dilou, avocat de son état, ex-dirigeant démissionnaire du mouvement Ennahdha et député gelé à la défunte ARP, revenait sur le discours-programme que prononçait le président de la République, dans la soirée du lundi. Et ce, pour réaffirmer sa conviction que Kaïs Saïed « est en train d’instaurer et de légitimer une autocratie. Qu’il essaye de remodeler le pays selon sa propre vision. Et qu’en fine, il s’agit d’un coup d’Etat car le Président a procédé à un passage en force ». Classique, M. Dilou n’a fait que répéter la version officielle d’Ennahdha. En osant toutefois ne comparaison avec l’ancien président de la Libye, Mouammar Kadhafi.
Le Che des temps modernes
Mais là où cela devient intéressant dans son réquisitoire contre le chef de l’Etat, c’est lorsqu’il pointe du doigt, selon lui, les contradictions du locataire du palais de Carthage. « Un homme qui adopte un discours révolutionnaire, semblable à celui de Che Guevara. Tout en étant en contact avec le FMI, afin de trouver un accord d’appui et d’aide », poursuit-il.
Et de conclure, ironique: « En sapant les organes intermédiaires, tels que les partis et les organisations nationales, le président de la République compte instaurer une Jamahiriya sans Kadhafi et sans pétrole ». Fichtre!
« La Tunisie ressemble au Titanic »
Association d’idées? Comme par hasard, dans un article intitule « Du Titanic au Radeau de la méduse », le site de la radio française Europe 1 est revenu mardi 14 décembre sur le discours à la Nation prononcé la veille par le président tunisien.
Ainsi, dans son édito international, Vincent Hervouet rappelle les dernières décisions du président tunisien. De même qu’il analyse le dessein politique de sa pensée.
« La Tunisie ressemble au Titanic. Mais dans sa cabine, le commandant de bord réécrit le règlement intérieur. Cet été, Kaïs Saïed a pris les pleins pouvoirs pour « sauver le pays d’un péril imminent ». Les Tunisiens sont descendus dans la rue pour l’applaudir. Après dix ans de palabres, ils n’en peuvent plus des manigances des islamistes d’Ennahdha. La levée de l’immunité parlementaire a été une des consolations d’un été sans touristes ».
Naufrage
Le journaliste d’Europe 1 brosse dans son article un tableau plus qu’alarmant de la situation socio-économique des Tunisiens. Lesquels « n’en peuvent plus du marasme général, de la croissance en berne, de l’inflation à 6%, du chômage à 18%, du déficit qui se creuse, de la pauvreté qui s’étend. Une crise politique, économique, sociale qui a mis le pays à l’arrêt. Le Covid qui le met à genoux. Des milliers de PME sont sur le point de déposer le bilan. Les fonctionnaires redoutent de ne plus toucher leur traitement. Dans l’intérieur du pays, les manifestations tournent à l’émeute. Les syndicats sont débordés, les partis politiques discrédités. Et le gouvernement dans la nasse appelle au secours le FMI pour un nouveau programme d’aide, le 4ème en dix ans ».
Et que fait le président de la République entre temps? « Pendant ce temps, le Président qui a pris tous les pouvoirs et qui ne connait visiblement rien à l’économie se concentre sur son projet. Seul dans son palais, il imagine une nouvelle constitution et présente un calendrier de réformes institutionnelles, c’est sa réponse ».
Puis l’éditorialiste rappelle la décision de Kaïs Saïed d’imposer la date du 17 décembre comme anniversaire de la révolution, à la place du 14 janvier, le jour où s’est enfui Ben Ali. Alors, parlant du chef de l’Etat tunisien, il fait observer que « selon lui, fêter la chute du tyran n’est pas approprié car la révolution est toujours en marche… Il dit « malheureusement, la révolution a été détournée pour exclure le peuple ». C’est un air connu. Il ajoute qu’il faut maintenant réaliser « l’accomplissement de l’explosion révolutionnaire ». Ce sera sa grande œuvre ».
« Cela aussi rappelle la Jamahiriya »
« Ce genre d’arabesques, écrit Vincent Hervouet, rappelle pour ceux qui l’ont connu le colonel Kadhafi. Je l’ai interviewé, c’était sa dernière télé. Le regard fixe comme Kaïs Saïed, il assénait le même genre de sentences, sur le même ton: on comprend vaguement mais on reste très loin du réel ».
« En effet, le président tunisien propose de réunir à partir de janvier des consultations populaires pour discuter d’amendements constitutionnels et électoraux, et d’un référendum à l’été. Cela aussi rappelle la « Jamahiriya » libyenne, l’état des masses. Kadhafi était fier de ses comités populaires, cette démocratie directe tellement supérieure au bête système libéral de la démocratie parlementaire. Le comité populaire, c’est l’idée fixe du conseiller du président tunisien, un intellectuel toujours marxiste ». Suivez mon regard.