Le leader historique du parti islamiste d’Ennahdha se débat comme un forcené pour se repositionner, en vain, sur l’échiquier politique en Tunisie. Récit d’un naufrage annoncé.
Peu habitué à ne plus figurer au premier plan sur l’échiquier politique en Tunisie, lâché par ses soutiens traditionnels à l’étranger, fortement contesté même au sein de son parti, assommé par la dernière annonce présidentielle ayant fixé un calendrier pour les prochaines élections législatives , ce qui équivaut à la dissolution in facto de l’actuel Parlement. Enfin, fragilisé par l’instrumentalisation crapuleuse de l’affaire de Sami Essifi, le quinquagénaire qui s’est immolé par le feu à l’enceinte même du Temple bleu, tout un symbole ; le leader historique du parti islamique d’Ennahdha, tel un naufragé, fait tout pour sortir la tête de l’eau en s’accrochant à n’importe planche de salut fût-elle dérisoire.
Usurpation d’identité
Ainsi, rien qu’hier jeudi 16 décembre 2021, l’ex-président gelé de l’ARP s’est fendu d’un communiqué au nom de la « présidence du Parlement » pour exprimer son « rejet total » des dernières décisions du président de la République.
Or, il s’agit manifestement d’un acte d’usurpation d’identité qui pourrait tomber sous la coupe de la loi : l’institution de la « présidence du Parlement » étant caduque et n’existant que sur le papier. Et ce, suite aux mesures exceptionnelles prises par le président de la République le 25 juillet 2021, notamment le gel de toutes les activités du Parlement pour trente jours, conformément à l’article 80 de la Constitution. Ainsi que le Décret présidentiel n° 2021-117 du 22 septembre 2021. Lequel stipule dans son article premier que «Les compétences de l’Assemblée des représentants du peuple demeurent suspendues ». Sine die.
Jérémiades
De même, Rached Ghannouchi rejette catégoriquement « toute révision de la Constitution et toute atteinte au processus mis en place depuis 2014 ». Soulignant à l’occasion que « la crise qui s’est aggravée ne pourrait être résolue qu’après l’annulation des mesures exceptionnelles et l’entame d’un dialogue national global pour déterminer collectivement l’avenir du pays».
Selon lui, il est impératif de « mettre fin immédiatement à l’état d’exception et organiser un dialogue national inclusif pour pouvoir surmonter la crise politique qui ne cesse de s’aggraver ».
D’autre part, estimant que la décision du gel des prérogatives du Parlement pour une année supplémentaire est « anticonstitutionnelle et illégale », le président du mouvement islamiste d’Ennahdha n’a pas manqué de condamner via ce même communiqué, « les procès ciblés intentés contre certains députés et la vendetta orchestrée au quotidien notant le droit des députés à militer pacifiquement pour défendre la démocratie et le Parlement élu en réponse à la volonté du peuple ».
La vérité, c’est que le leader islamiste ne semble pas comprendre qu’il a perdu la partie et qu’il est désormais sur la touche, d’où ses incessantes jérémiades de défenseur attitré de la légalité, de la Constitution et du processus révolutionnaire.
Il ne semble pas non plus intégrer le fait que le vent a tourné et que les annonces présidentielles du 13 décembre, notamment la tenue d’élections législatives anticipées, le 17 décembre 2022, la poursuite du gel des activités du Parlement et l’organisation d’un référendum le 25 juillet 2022, ont été, globalement et faute de mieux, bien reçues à l’étranger.
La bienveillance de Washington
Faut-il rappeler à cet égard que le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, dont les déclarations ont été rapportées sur la page FB de l’ambassade US des Etats-Unis à Tunis vient d’indiquer, mardi soir, que son pays « se félicite » de l’annonce par le président de la République, Kais Saied, d’un calendrier fixant le processus de réforme politique et d’élections parlementaires.
Ajoutant toutefois que les Etats-Unis « attendent avec impatience que le processus de réforme soit transparent et inclusif des diverses voix politiques et de la société civile ».
Une façon de rappeler dans un langage diplomatique que Washington ne donne pas un blanc-seing au président tunisien et qu’il sera bien inspiré de ne pas se la jouer solo en écartant les partis politiques, les organisations nationales et la société civile.
Enfin, que reste-t-il à Rached Ghannouchi ? La pression de la rue ? Ce sera une manœuvre fort périlleuse, et ce vieux briscard de la politique le sait parfaitement.