Mais qu’est-ce qui pousse le leader historique du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, 80 ans, à se cramponner par tous les moyens au pouvoir? Et ce, soit à la tête de son parti, soit au Perchoir. L’attrait du pouvoir et les ors de la République? Son duel, à mort, avec le président de la République? Mystère.
Il est décrié par tout le monde, même au sein de son propre parti. Ainsi, l’ancien dirigeant au sein du mouvement Ennahdha, Imed Hammami, dont les activités ont été gelées par le parti islamiste, le somme de « démissionner immédiatement du Parlement, d’Ennahda et de la vie politique afin que le pays devienne capable de progresser ». Comment donc expliquer que Rached Ghannouchi, l’homme qui, selon tous les sondages d’opinion traîne en queue de peloton des personnalités politiques auxquelles les Tunisiens accordent leurs confiance, persiste à défende bec et ongles son statut au sein du parti, ainsi qu’à la tête du pouvoir législatif? Alors qu’il est parfaitement conscient du rejet massif qu’il inspire à ses compatriotes?
« Rached Ghannouchi a perdu toutes ses cartes »
Dans un entretien accordé mercredi 23 décembre à notre confrère du site Africanmanager, Alaya Allani, l’éminent historien et chercheur sur l’Islamisme et le Salafisme en Afrique du Nord et Proche-Orient, tente une approche originale pour résoudre cette énigme. « Je pense qu’après le 25 juillet, Ghannouchi a perdu toutes les cartes qui pourraient lui permettre de faire pression. Il a perdu la pression de la rue, la crédibilité auprès d’une bonne partie de sa base. Et même sur la scène internationale, comme par son interview au journal italien Corriere della sera où il brandissait la menace de l’immigration clandestine. Une déclaration qui avait dérangé toute l’Europe ».
Le poids de l’élément financier
« Ceci-dit, le parti Ennahdha est en fait bâti autour de l’idée du pouvoir et du charisme du leader qui dispose de la force morale, spirituelle, matérielle et financière, surtout. Des pouvoirs qui font qu’il soit l’élément mobilisateur du groupe.
L’élément financier, par l’opacité des finances de ce parti, sera d’ailleurs un des facteurs de difficultés en son sein. Et on sait que dans tous les partis islamistes du monde arabe, le trésorier est nommé par le chef. »
Et de conclure: « La sortie de Rached Ghannouchi porterait un sérieux coup à la puissance financière du parti. Le départ d’une telle personnalité, avec son poids moral, spirituel, financier et son poids symbolique pour tout le parti, entraînerait la perte d’une grande partie de son assise ». Lumineuse analyse.
L’obsession du 25 juillet
D’autre part, et dans un autre registre, lors d’une interview accordée mercredi 21 décembre 2021 à la chaîne qatarie « Télévision arabe », le leader historique du mouvement Ennahdha ne manquait pas de revenir sur son sujet obsessionnel. A savoir le coup de force du 25 juillet qu’il qualifie volontiers de « coup d’Etat ».
Et de répéter la vieille rengaine que le président Kaïs Saïed avait offert un très mauvais cadeau au peuple tunisien le jour de la fête de la République. Et ce, à travers « l’image de la fermeture du Parlement avec des chars qui était scandaleuse ». Assurant à l’occasion « qu’en annulant les acquis démocratiques de la révolution et en amputant la quasi-totalité de la Constitution, le Président n’a fait que consolider son projet individuel ».
Mais quid de la responsabilité d’Ennahda dans la crise politique ayant déclenché le coup de force du 25 juillet? Rached Ghannouchi admet du bout des lèvres que cette responsabilité est « proportionnelle à sa participation aux gouvernements qui se sont succédé ». Oubliant au passage que son parti avait participé à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011. Et que lui-même, en maître des horloges, tirait les ficelles à partir de Montplaisir et de l’hémicycle.
Donneur de leçons
Enfin, le président du Mouvement Ennahdha ne résiste pas au plaisir d’évoquer « les ingrédients d’une intervention extérieure bien manifestes. En ce qui concerne les événements du 25 juillet 2021, sur les chaînes égyptiennes et du Golfe ». Traduisez l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte. De ce fait, Rached Ghannouchi cherche à prendre à témoin l’opinion publique internationale, par le biais d’un média qatari. D’ailleurs, il rappelle avec malice « qu’avant le 25 juillet, la Tunisie souffrait d’une crise économique. Sauf qu’à la suite des mesures exceptionnelles imposées par Kaïs Saïed, une crise politique a pris naissance ».
Et d’ajouter doctement: « La Tunisie ne peut supporter les répercussions d’un tel coup d’Etat. La démocratie et les libertés garanties par la Constitution étant parmi les principaux acquis de la révolution. Une révolution que Kaïs Saïed voudrait anéantir à travers l’annulation de la Constitution et la prise du pouvoir absolu ».
Ainsi s’exprimait, ironie de l’histoire, l’homme qui règne en maître absolu sur son parti. Ne souffrant aucune contestation et tordant le coup aux règles intérieures de son mouvement. Et ce, pour se maintenir au pouvoir à l’infini. Belle leçon de démocratie!