La conférence de presse donnée par le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, le 3 janvier 2022, a été une bonne opération de communication. Elle a atteint trois objectifs. Dont desserrer l’étau autour du chef de l’Etat, que ses adversaires et contradicteurs accusent d’abus de pouvoir et d’être seul responsable de la mise en résidence surveillée de l’avocat et vice-président d’Ennhadah, Noureddine Bhiri. Reste que la conférence de presse de Taoufik Charfeddine aurait été bien plus réussie si le ministre s’était prêté, comme cela se fait partout, en pareille occasion, au jeu des questions-réponses.
Trop peu, trop tard. Ou encore édifiant et juste à temps. Les avis peuvent différer au sujet de la conférence de presse organisée, le 3 janvier 2022, par le ministre de l’intérieur, Taoufik Charfeddine. Elle avait trait à la mise en résidence surveillée de l’ancien ministre de la justice et le vice-président du mouvement Ennahdah, Noureddine Bhiri. Certains trouvent que le ministre de l’Intérieur n’a pas dit assez. Et qu’il est intervenu beaucoup de temps après cette mise en résidence surveillée. D’autres soutiennent qu’il a dit l’essentiel, ne pouvant dans une affaire aussi délicate et maintenant du ressort de la justice, être plus explicite. Comme, il a parlé juste après que la mayonnaise nahdhaouie a pris de l’ampleur.
L’essentiel n’est pas là. Il est dans le fait que Taoufik Charfeddine ait parlé, car il ne pouvait continuer à se taire. Les opinions nationale et internationale s’étant focalisées sur l’affaire de Noureddine Bhiri. D’autant plus qu’elle était entourée d’un certain mystère et atteint, semble-t-il, un seuil de gravité. Avec un, disait-on, « enlèvement » et son admission à l’hôpital dans un « état », disait-on aussi, « grave ». Ainsi, grâce à cette intervention du ministre de l’Intérieur, une partie de l’action entreprise par le mouvement islamiste depuis le début et qui ressemble bien, aux yeux de certains observateurs, à une « instrumentalisation » a fait quasiment un flop.
Redevabilité
En clair, il fallait communiquer. Et ce, pour trois raisons essentielles. En apparaissant en direct à la télévision, le soir du 3 janvier 2022, M. Charfeddine a, d’abord, fait acte d’un comportement démocratique. La démocratie consacrant toujours le débat. Faut-il rappeler, ici, la théorie de l’allemand Jürgen Habermas pour lequel la communication se confond avec la démocratie?
Ensuite, en informant l’opinion des raisons qui l’ont conduit à mettre l’ancien ministre de la Justice en résidence surveillée, il fait montre du respect d’une règle essentielle de la gestion des affaires de l’Etat; soit-elle sécuritaire et devant être entourée d’un certain secret : la redevabilité.
Une redevabilité d’essence anglo-saxonne que les Américains appellent « accountability ». Elle veut que « les responsables doivent rendre compte des décisions qu’ils prennent et des actions qu’ils entreprennent ».
A bien y réfléchir, la conférence de presse tombe enfin à pic. Et ce, pour desserrer l’étau autour du chef de l’Etat, que ses adversaires et contradicteurs accusent d’abus de pouvoir et d’être seul responsable de cette mise en résidence surveillée. Voilà donc un membre du gouvernement qui monte au créneau et laisse dans la mémoire des uns et des autres que la décision n’est pas, pour ainsi dire, le fait du prince. Mais une affaire de sécurité nationale (les faits révélés le prouvent) que l’Etat prend à bras le corps. On comprend que l’opinion ne peut qu’apprécier qu’un gouvernement assure cette fonction régalienne.
Le fond et la forme
Il va sans dire que tout n’est pas parfait. Malgré l’intervention qui vient à point nommé pour ne pas laisser le terrain de la communication au mouvement Ennahdah qui a largement et quasiment monté en épingle l’affaire Noureddine Bhiri, il y a eu tout de même une faille. En effet, la parole n’a pas été donnée aux médias. Comprenez que Taoufik Charfeddine ne s’est pas prêté au jeu des questions-réponses.
On dira peut-être que les accusations étant ce qu’elles sont et l’affaire devant être soumise au Parquet, il ne puisse le faire. On pourra évidemment épiloguer là-dessus. Reste qu’il y avait possibilité de faire autrement. Pour au moins deux raisons. La première est que, et le ministre de l’Intérieur l’a clairement indiqué, les faits rapportés étaient d’évidence bien constatés et prouvés. La seconde est que tout le monde sait d’expérience que dans pareils cas les responsables ne s’interdisent pas d’avancer sur ce terrain. Ayant toujours la possibilité de prononcer, lorsqu’ils ne peuvent le faire le fameux « No comment ». Les gens de la presse en ont pris l’habitude, le savent et l’admettent.
Sans oublier l’importance que revêt la forme (donc notamment le jeu des questions-réponses) qui, comme ailleurs, importe beaucoup. En termes d’impact, la forme, disent les spécialistes, est autant sinon plus puissante que le fond.