La Tunisie peine aujourd’hui à rebondir alors que d’autres pays l’ont fait très rapidement et très fermement en 2021. C’est parce qu’elle est en train de perdre en facteurs de production (capital et travail). Ainsi estime l’universitaire Fatma Marrakchi Charfi. Et ce, en marge d’un webinaire organisé récemment par le Think Tank GI4T (Global Institue for Transitions).
Le webinaire de « GI4T » tenu autour du thème « Et l’économie! Où va-t-on », intervient dans le cadre du débat public autour de la Loi de Finances 2022. Ainsi que des solutions qui restent à la Tunisie pour espérer une sortie de sa crise économique.
Et ce, au moment où les pays partenaires, dont la France, l’Italie, l’Espagne, ont connu des taux de rebond supérieurs à 70% et parfois même supérieurs à 100% pour les USA et où les pays de la région MENA (Maroc, Algérie …), ont respectivement rebondi de 90% et de 70%.
Alors que, la Tunisie n’arrive pas à retrouver en 2021, le tiers de ce qu’elle a perdu en termes de croissance en 2020. Plus encore la croissance potentielle en Tunisie est nulle sinon légèrement négative, souligne encore Mme Marrakchi.
L’investissement national est inférieur à 10% du PIB
Toujours selon elle, cette incapacité à rebondir s’explique par la baisse drastique des facteurs de production due au phénomène de l’émigration des compétences (ingénieurs, médecins, enseignants, etc). Ce qui détériore davantage le stock du travail. Et au déclin de l’investissement, qui est à l’origine de l’érosion du stock de capital. En effet, l’investissement national est aujourd’hui inférieur à 10% du PIB; alors qu’il était autour de 25% en 2010.
Ainsi, pense-t-elle, pour retrouver le chemin vertueux de la croissance, il est très important d’en booster les moteurs et essentiellement l’investissement. D’abord, l’investissement public qui dégage l’espace fiscal nécessaire. En suivant l’exécution de ces investissements et en résolvant les problèmes qui surgissent en cours de route et qui peuvent freiner l’avancement des projets. Mais aussi l’investissement privé, en travaillant sur le climat des affaires. Et en veillant à réduire/éliminer l’arsenal d’autorisations nécessaires pour pouvoir accéder à certains secteurs et surmonter la machine administrative lourde des autorisations.
La stabilisation de l’économie est nécessaire mais insuffisante!
Mme Marrakchi estime que les problèmes et les défis économiques du pays sont connus par tous. Mais ils sont enchevêtrés, et compliqués. Pour donner un aperçu de la situation, l’universitaire analyse trois indicateurs qui sont inter reliés. A savoir le déficit budgétaire, le déficit courant et l’endettement public.
Concernant le déficit budgétaire, elle souligne que « non seulement il se creuse de plus en plus au fil des années; mais plus encore, on parle de déficit primaire dans le budget. Ce qui signifie que les recettes propres de l’Etat (recettes fiscales et non fiscales) n’arrivent pas à couvrir les besoins de l’exercice budgétaire. sans tenir compte du service de la dette qui n’est pas la responsabilité du gouvernement en place pendant l’exercice. Pour revenir à un surplus primaire ou un solde budgétaire nul, il faut impérativement relever le niveau des recettes propres et diminuer les dépenses de l’Etat ».
Cet exercice peut être facilité, selon elle, par les réformes transversales qui serviront à dégager un espace fiscal nécessaire pour améliorer le niveau de l’investissement public. Lequel a toujours été la variable d’ajustement dans le budget de l’Etat. Il s’agit essentiellement de la réforme fiscale dans un sens d’une politique fiscale plus égalitaire. En élargissant l’assiette plutôt qu’en élevant les taux déjà assez élevés. Mais aussi la réforme de la fonction publique qui peut permettre une plus grande efficacité dans le fonctionnement de l’Etat. Ainsi que la réforme des subventions pour éviter énormément de gaspillage dans les dépenses de l’Etat. Et la réforme des entreprises publiques qui permettra de fournir des ressources à l’Etat au lieu de ponctionner sur ses revenus et son budget.
Le déficit courant
Concernant le déficit courant, Mme Marrakchi rappelle qu’il provient essentiellement du déficit commercial qui n’est plus couvert par l’excédent de la balance des services. Comme c’était le cas en grande partie avant 2011, étant donné: la chute des exportations du phosphate; l’augmentation des importations des produits énergétiques; et la chute des recettes touristiques, à la suite des attaques terroristes.
« Les deux déficits courants et budgétaires, quand ils sont concomitants, sont les déficits jumeaux qui s’alimentent mutuellement et alimentent le niveau de l’endettement du pays. Et surtout l’endettement public et c’est pourquoi on soulève de plus en plus aujourd’hui le problème de la soutenabilité de la dette », explique-t-elle.
Et d’enchaîner « mais en réalité, les déséquilibres décrits plus haut, ne sont que le coté apparent de l’iceberg. Le réel problème est un problème de manque de compétitivité et un problème de manque de création de richesse, exacerbé par la pandémie, avec l’arrêt de l’activité économique. En fait, c’est la croissance qui nous fait défaut ».
Ainsi, conclut-elle, la stabilisation de l’économie est importante et est une étape essentielle et nécessaire, mais pas suffisante pour pouvoir redémarrer la machine productive. D’où l’importance de réserver plus d’espace fiscal pour l’investissement public qu’on pourrait avoir. Et ce, grâce à la mise en place sans tarder des réformes transversales. Mais aussi travailler sur les mesures de relance de l’investissement privé, en libéralisant l’initiative privée et en éliminant les barrières à l’entrée pour les investisseurs.
Avec TAP