La concomitance entre les mesures gouvernementales dont le couvre-feu et l’interdiction des rassemblements « dans les espaces ouverts tout comme les espaces fermés » et l’intention de l’opposition de battre le pavé le 14 janvier à l’Avenue Bourguiba, dénote de l’amateurisme du gouvernement Bouden. Lequel fait tout… sauf de la politique.
La reprise fulgurante de l’épidémie de Covid-19 est-elle un prétexte pris par le gouvernement pour empêcher la manifestation prévue sur l’Avenue Habib Bourguiba ce vendredi 14 janvier?
Un timing troublant
Il faut reconnaître que le timing de l’annonce gouvernementale, deux jours avant la date fatidique du 14 janvier, est troublant.
Ainsi, en se basant sur les recommandations de la Commission scientifique de lutte contre le nouveau coronavirus, le gouvernement a décrété mercredi 12 janvier une série de mesures dont un couvre-feu de deux semaines et l’interdiction des rassemblements « dans les espaces ouverts tout comme les espaces fermés ».
Une décision anti-Covid tout à fait légitime en apparence, mais qui ouvre la porte aux interprétations les plus tendancieuses. Car, comment expliquer que le gouvernement interdise formellement les rassemblements à partir de ce jeudi 13 janvier, soit la veille de la manifestation de l’Avenue Habib Bourguiba. Tout en tolérant les cafés bondés où se mêlent chicha et virus extrêmement contaminant dans des espaces fermés. Et ce, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations ?
Surréaliste et déplacé
Mais le plus bizarre dans cette histoire, ce sont les déclarations du gouverneur de Tunis, Kamel Fekih, lequel annonçait déjà, tenez bien la date, qu’il interdirait les manifestations du 14-Janvier pour éviter tout rassemblement « non-nécessaire ».
S’exprimant lundi 10 janvier 2022 sur les ondes de Diwan FM, soit deux jours avant le communiqué gouvernemental, il précisait qu’il ne donnerait aucune autorisation pour des rassemblements « en cas de sollicitation ». Et que par conséquent, il interdirait les manifestations du 14-Janvier pour ainsi éviter tout rassemblement « non-nécessaire dans ce contexte marqué par la hausse des contaminations au Coronavirus ».
Et d’ajouter: « Certaines parties cherchent à attiser l’opinion publique en déclarant que les récentes mesures sanitaires ont une connotation politique.
Or, les partis qui veulent participer aux manifestations du 14 janvier sont inconscients. Ces gens font partie du passé, ils ne sont rien pour nous! Qu’ils viennent nous donner des alternatives! Qu’ils proposent des solutions réelles; alors que durant dix ans ils n’ont rien fait. » Et de conclure, méprisant « qu’ils nous aident par le silence ».
« Comment expliquer que le gouvernement interdise formellement les rassemblements à partir de ce jeudi 13 janvier, soit la veille de la manifestation de l’Avenue Habib Bourguiba?
Une déclaration surréaliste et tout à fait déplacée. Car, ce gouverneur fraîchement nommé par Kaïs Saïed en personne est, avec Redha Lénine, l’un des fondateurs du projet politique du Président.
Soit! Le président de la République a le droit de nommer une personnalité de confiance dans ce poste sensible.
Mais, le nouveau gouverneur a-t-il le droit de court-circuiter les mesures gouvernementales publiées le 14 janvier en annonçant avec deux jours d’avance sa décision d’interdire les manifestations prévues pour le 14 janvier, date de la commémoration de la révolution, allégrement zappée par le Président?
De même, le gouverneur, un haut commis de l’Etat, n’est-il pas tenu à l’impartialité et au devoir de réserve? A-t-il le droit de qualifier les partis politiques, ennemis jurés de son patron, « d’inconscients, d’attiseurs de l’opinion publique, d’être des gens du passé, d’être incapables de proposer des solutions réelles »?
Ghazi Chaouachi : « Kaïs Saïed a peur du peuple »
Cela n’empêchera pas la coalition des partis Ettakatol, Al-Joumhouri et le Courant démocrate ainsi que plusieurs personnalités nationales, de maintenir leur manifestation prévue sur l’Avenue Habib Bourguiba ce vendredi 14 janvier pour protester contre la politique menée par Kaïs Saïed depuis le 25 juillet dernier.
« Ce n’est pas un hasard si cette décision a été prise juste la veille des événements. Alors que cela fait bien longtemps que la crise sanitaire s’est accentuée en Tunisie. Kaïs Saïed avait invoqué la situation sanitaire, afin d’éviter une vague de protestation sociale à laquelle il ne peut pas faire face ». Ainsi déclarait Issam Chebbi, le SG d’Al Joumhouri.
« Le protocole sanitaire n’était qu’une excuse pour censurer ceux qui sont opposés à la politique de Kaïs Saïed. Souvenez-vous que les manifestations suite aux décisions du 25 juillet ont été organisées et autorisées alors que nous étions en pleine pandémie et où les morts se comptaient par centaines », soulignait pour sa part le SG du parti Ettakatol, Khalil Zaouia.
Enfin, « la décision d’interdire les rassemblements à la veille des manifestations montre bien que la Tunisie vit sous un régime dictatorial. Nous vivons sous la menace d’un pouvoir exclusif. Dans ses discours Kaïs Saïed ose parler au nom peuple tunisien; alors qu’il nous montre aujourd’hui qu’il a peur du peuple », déclarait avec virulence le chef de fil du Courant Démocrate, Ghazi Chaouachi.
Un bras de fer qui pourrait tourner à la violence. Notre pays n’en a pas besoin dans ce contexte explosif.