Rien n’a pratiquement changé en Tunisie en matière de liberté de l’information depuis le 25 juillet 2021. Principal constat d’une récente rencontre à Tunis. Une rencontre qui a été aussi l’occasion d’évoquer les travers et les défaillances d’un paysage médiatique qui doit être réformé.
Comment ont évolué les médias depuis le 25 juillet 2021 ? La question a été au centre d’un débat organisé par Reporters sans frontières (RSF), le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), la Fédération générale des médias de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et la Conseil de presse, le 19 janvier 2022. Et ce, à l’occasion de la sortie du rapport de RSF intitulé « Journalisme en Tunisie : l’heure de vérité ».
Un rapport qui tombe selon le directeur du bureau de RSF à Tunis, Souhaieb Khayati, à pic. Selon lui, la liberté de la presse continue sous Kais Saied à être menacée. « Les incidents qui se déroulent les jours qui suivent le 25 juillet 2021 suscitent l’inquiétude des défenseurs de la liberté de la presse », indique le rapport de RSF. Il poursuit : « Le premier a lieu le 26 juillet : les forces de la police tunisienne expulsent tous les journalistes des bureaux d’Al Jazeera à Tunis. Sans présenter aucun mandat, les forces de l’ordre évacuent les locaux et confisquent les clés des bureaux de la chaîne qatarie ».
Les adversaires de la liberté de la presse
Pour Amira Mohamed, vice-présidente du SNJT, rien n’a pratiquement changé depuis le 25 juillet 2021 en Tunisie. Sinon qu’aux milices qui œuvrent par divers moyens, dont un usage des réseaux sociaux, à attaquer la presse et ses représentants, s’est ajoutée celle qui se réclame de Kais Saied. A une question posée par l’animateur de la rencontre, le professeur Sadok Hammami de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), elle assure que les adversaires de la liberté de la presse sont les mêmes. On retrouve dans ce camp le pouvoir exécutif, un certain nombre de partis et de personnalités politiques et évidemment les « milices ».
« La presse et les journalistes sont du reste la cible de nombreux acteurs de la scène nationale démunis d’une culture politique et qui veulent faire des médias un porte-voix », souligne Moufida Touati, de la Fédération générale des médias de l’UGTT. Précisant qu’il ne peut aucunement s’agir là d’une mission de la presse. Autant dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge des années de dictature.
Inutile de préciser, à ce propos, que le débat a vite tourné autour du paysage médiatique tunisien depuis 2011 et de ses travers et défaillances. Un paysage qui se distingue par l’absence totale de réformes. Une réforme bien nécessaire, mais non voulue par moult acteurs de la scène nationale qui ne peuvent que se plaire dans un certain flou et même un certain chaos.
La grande masse des journalistes continue à végéter
Un état des lieux qui ne peut que desservir la profession qui n’est plus maître de son métier. « Certains acteurs ont dépossédé les journalistes de leur métier », assure précisément le professeur Sadok Hammami. Et les réflexions n’ont pas manqué d’aller très vite pour interroger un vécu dans lequel les chroniqueurs sont devenus les représentants illégitimes du métier journalistique.
Des chroniqueurs qui avancent souvent avec des « agendas politiques » que l’on remarque du reste très vite dès qu’ils commencent à prononcer leurs premières phrases ! Des chroniqueurs qui « gagnent beaucoup d’argent alors que la grande masse des journalistes continue à végéter avec des salaires de misère », dira plus d’un intervenant.
D’où une lourde responsabilité de l’Etat qui s’est désengagé du champ médiatique avec les responsabilités qui lui incombent constitutionnellement dans une société démocratique (légiférer, autoriser et contrôler notamment), laissant la place à des « pouvoirs » qui ne sont nullement intéressés par l’intérêt général.