Nul ne peut nier que le corps judiciaire tunisien est dans un état critique. Au temps de Bourguiba et de Ben Ali, il était dépourvu de sa principale arme: l’indépendance. Depuis ce qui est appelé ‘’révolution’’, notre corps judicaire n’a jamais voulu sauter sur l’occasion pour se doter de son autonomie et se dresser comme un solide rempart contre tous les dérapages. Pire encore, non seulement il a tourné le dos à son indépendance; mais il n’a rien fait pour préserver son immunité contre l’infection par les divers virus, dont les deux les plus dévastateurs: le virus islamiste et le virus de la corruption.
Les milliers de juges que compte le pays, dont la plupart sont des gens honnêtes et patriotes, auraient pu se constituer en une force influente et active de la justice. Avec pour seule et unique allégeance: les intérêts supérieurs de la Nation. Occasion ratée.
Les milliers de juges que compte le pays auraient pu être solidaires et résister victorieusement à l’assujettissement de la justice par la secte islamiste. En commençant par la défense de 80 de leurs collègues virés d’un trait de plume par Noureddine Bhiri. Occasion ratée.
Les milliers de juges que compte le pays auraient pu se rattraper à l’occasion de la double affaire « Béchir Akremi et Taieb Rached » en dénonçant les liens de ces deux plus hautes autorités judiciaires avec le terrorisme et la corruption. Une telle dénonciation publique aurait pu faire gagner au corps judiciaire un soutien populaire massif. Elle aurait balisé la voie au traitement des gros dossiers, gelés depuis des années, en commençant par les plus graves. Occasion ratée aussi. Et on peut multiplier les exemples des occasions ratées par le corps judiciaire d’assurer son indépendance, de préserver sa dignité et de prouver sa loyauté aux intérêts supérieurs de la Nation.
Politiciens de bas étage
Onze ans d’occasions ratées ont fait qu’aujourd’hui la Justice n’a jamais été aussi honnie, aussi abhorrée, aussi vilipendée. La majorité des citoyens lui fait assumer la responsabilité de tous les dérapages qui ont mis le pays à genoux. Quand tout un corps judiciaire se laisse maltraiter et manipuler sans broncher par des politiciens de la trempe des Noureddine Bhiri et autres Youssef Chahed, il n’y a pas lieu de s’étonner de l’état piteux et pitoyable de notre justice.
Et la descente aux enfers continue. Alors que le pays est englué jusqu’au cou dans le marasme économique; alors que l’Etat lui-même est menacé d’effondrement, le sujet qui focalise toutes les attentions est… le Conseil supérieur de la magistrature. Et le bras de fer que cette institution engage avec le président de la République. Une controverse quasi-hystérique oppose partisans et défenseurs de ce Conseil. Comme si cette structure judiciaire est un élément vital dans la vie des Tunisiens. Comme si ce Conseil est un concentré de compétences et de vertus sans lesquelles nous serons perdus.
Parfois, il est bon de se rafraichir la mémoire. Le Conseil en question a été mis en place en 2017. C’est-à-dire au début du mandat du pire gouvernement de la décennie noire, celui de Youssef Chahed. Une chose est certaine: si Ennahdha et ses hommes-liges du gouvernement Chahed n’étaient pas assurés de la loyauté de ce Conseil, ils n’auraient jamais permis son installation. On peut en avoir la preuve par analogie. Le Conseil Constitutionnel n’a pas vu le jour parce que Ennahdha et ses pantins ont échoué d’y mettre des membres « sûrs » dans le sens « ghannouchien » du terme.
Fiction de l’indépendance de la Justice
Une autre preuve? Ennahdha et le gouvernement Chahed étaient si satisfaits des 45 membres de ce Conseil (magistrats, avocats, huissiers notaires et universitaires) qu’ils leur avaient accordé des primes mensuelles très généreuses (2364 dinars + 800 dinars en bons d’essence). Histoire de s’assurer de la loyauté que génère la reconnaissance du ventre…
Une autre preuve? En près de cinq ans d’existence, ce Conseil qui coûte au contribuable 142 380 dinars par mois rien qu’en primes, n’a pas rendu le moindre service palpable à la justice ou au citoyen. Bien au contraire, il s’est accommodé de sa fonction de feuille de vigne utilisée par Ennahdha. Dans l’espoir de donner quelque crédit à sa fiction de l’indépendance de la justice. Il s’est abstenu d’évoquer, ne serait-ce que par allusion, les graves affaires largement évoquées du terrorisme et de la corruption enfermées à double tour dans les placards de Béchir Akremi et Taieb Rached.
Le malheur est que, après chaque intervention du président de la République sur le sujet, nous avons droit à une levée de boucliers pour défendre « l’indépendance de la justice ». Ceux-là même qui, dix ans durant, ont asservi, maltraité et humilié le corps judiciaire s’affichent aujourd’hui sans vergogne pour nous mettre en garde sur les dangers qui menacent… l’autonomie de la Justice.
Le président de la République qui a tous les pouvoirs se contente de nous énumérer quasi-quotidiennement les entraves et les obstacles qui s’opposent à la bonne marche de la Justice. Il donne l’impression qu’il attend une délivrance miraculeuse. C’est comme s’il attend l’intervention d’une force surnaturelle ou d’une main invisible qui mettrait fin à ce calvaire judiciaire.
Il n’y a que les enfants qui croient au miracle. Notre justice restera malade tant que le président de la République se contente des discours creux et coléreux. Tant que les milliers de juges, d’avocats et de huissiers de justice restent frappés d’inhibition et d’impuissance qui les empêchent de libérer le pouvoir judiciaire et de lui restituer son honneur et sa dignité.