Foin de littérature d’un autre temps et de discours incantatoires. Place aux chiffres et à la réalité. Le constat est terrifiant : la politique a tué l’économie dans un pays naguère le plus entreprenant de la région.
L’économie nationale est en grande souffrance, à l’agonie. Et pour cause ! Les champions nationaux sont livrés à la vindicte populaire, ostracisés, stigmatisés, vilipendés, victimes d’un odieux lynchage politico-médiatique. Ils ne doivent leur résilience qu’à leur obstination à puiser dans leur ultime ressource financière et psychique.
Les ETI sont en chute libre, elles ne sont plus, résultats à l’appui, ce qu’elles étaient ni ce qu’elles voudraient qu’elles soient. Les PME sont dans un état de mort cérébrale quand elles ne trouvent pas refuge dans les ténèbres de l’économie souterraine. Et que dire des
entreprises publiques, aux bilans massacrés à coups de massue salariale ! Elles ne sont plus soumises à la loi de la gravitation de l’économie. Elles cumulent sureffectifs et déficits en tout genre, victimes qu’elles sont, depuis plus d’une décennie, d’un condominium syndicalo-gouvernemental.
« Les champions nationaux sont livrés à la vindicte populaire, ostracisés, stigmatisés, vilipendés, victimes d’un odieux lynchage politico-médiatique »
Les deux protagonistes s’opposent sur tout, mais s’accordent sur l’essentiel : l’hégémonie, ou le pouvoir sans partage syndical. Avec pour conséquence un affaissement managérial et
l’explosion des charges, notamment salariales. L’effacement de l’État a mis à mal les entreprises publiques, sinon sonné leur glas.
Le pouvoir des syndicats excède celui des dirigeants, désemparés, livrés à eux-mêmes, privés du soutien de gouvernements qui n’avaient pas plus de compétence que de courage. Ils ont, par leur coupable passivité et leur manque de lucidité, programmé le déclin et laissé dépérir des entreprises que rien ne prédisposait à une telle débâcle. Aux seules fins d’acheter à prix fort une paix sociale éphémère, vouée à l’échec, car sans fondement réel.
On a peine à croire qu’elles étaient, il y a si peu de temps encore, le fer de lance, les figures de proue et les locomotives de l’économie nationale. Elles ne caracolent plus en tête du classement en termes de résultat, d’innovation, d’efficacité, de création de richesse et de valeur. Elles sont désormais rattrapées et distancées par des groupes industriels privés, au regard de ces mêmes critères.
On ne va pas se plaindre de la poussée des seconds, mais on ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer le déclassement et la clochardisation des premières. Situation d’autant plus ubuesque qu’au final, on perd sur les deux tableaux.
L’inefficience et la dérive financière du secteur public tirent vers le bas l’ensemble de l’économie. Le secteur privé serait plus conquérant, si les entreprises publiques étaient en meilleure santé, exemplaires et irréprochables.
« Le pouvoir des syndicats excède celui des dirigeants, désemparés, livrés à eux-mêmes, privés du soutien de gouvernements qui n’avaient pas plus de compétence que de courage »
Au lieu de quoi, ce sont les entreprises privées – celles en tout cas qui peuvent se le permettre – qui paient un lourd tribut fiscal, au risque d’inhiber et de compromettre leur capacité d’investissement. Elles sont ainsi dépouillées de leurs ressources pour entretenir des communautés de salariés au sein
d’établissements publics qui distribuent des emplois à l’envi, sans réelle création de richesse nationale.
On ne s’étonne plus, dès lors, du ralentissement global de l’économie, soumise par ailleurs aux effets corrosifs de l’informel et du harcèlement syndical qui trouve sa légitimité dans l’explosion du coût de la vie. L’économie nationale, largement marginalisée et brutalisée par les politiques, n’aura connu ni répit ni la moindre éclaircie.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, 2020 et 2021 furent deux « annus horribilis » pour les entreprises locales. Elles ont été dévastées par une crise sanitaire à l’échelle planétaire. Le tsunami de la Covid-19 a percuté gravement les entreprises rescapées du bouillonnement révolutionnaire, qui les a mises à rude épreuve.
L’année 2020 porte encore les stigmates du confinement général : 2021 n’en fut pas moins impactée. Et à l’heure de la relance de l’économie mondiale, nos entreprises, toutes tailles confondues, sont restées à quai, voyant partir le train de la croissance sans pouvoir s’y arrimer.
Sans être capables de rebondir pour n’avoir pas été secourues et aidées financièrement par le gouvernement de l’époque, plus préoccupé de sa survie politique que de celle des entreprises.
« L’économie nationale, largement marginalisée et brutalisée par les politiques, n’aura connu ni répit ni la moindre éclaircie »
Notre appareil productif s’est rétréci comme peau de chagrin. Il en sort affaibli, amoindri. Sans que le pays, pourtant concerné et tout indiqué, puisse profiter des relocalisations et des redéploiements mondiaux des chaînes de production et de valeur.
Des centaines de PME – certains avancent le chiffre de milliers – n’ont pas survécu à l’effet dévastateur du virus sous tous ses variants, celui politique notamment. Et derrière ces statistiques macabres, c’est plus de 100 000 salariés qui ont perdu leur emploi et leur source de revenus pour n’avoir pas été pris en charge par les pouvoirs publics au moment de l’arrêt de l’activité pour cause de confinement.
Ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée, les États ont été jusqu’à nationaliser les salaires du secteur privé pour protéger leurs entreprises, qui repartent aujourd’hui de plus belle à l’heure de la reprise de l’économie mondiale. Les millésimes 2020 et 2021 sont à marquer d’une pierre noire.
En 2020, le PIB a chuté de plus de 9%, avec un rattrapage insignifiant – de 2,5 % à peine – en 2021, quand nos partenaires et concurrents affichent des chiffres records de l’ordre de 6%. Nos entreprises ont bu la coupe jusqu’à la lie. Elles ne pouvaient imaginer de bien plus mauvais bilans.
« Des centaines de PME – certains avancent le chiffre de milliers – n’ont pas survécu à l’effet dévastateur du virus sous tous ses variants, celui politique notamment »
Certaines se sont abstenues de nous communiquer leurs chiffres, malgré nos multiples sollicitations. Elles ont chuté de beaucoup, craignant ainsi pour leur image auprès du public, de leurs fournisseurs et de leurs clients. Nous les retrouverons sans doute, dans notre prochaine édition…
On comprend par ailleurs la réticence et l’appréhension de certains groupes familiaux, peu rassurés par le climat délétère qui souille et intoxique le pays. Ailleurs, le profit, sans lequel il n’y aurait ni investissement ni emploi, est source de fierté. Il est perçu comme le signe de l’efficacité, de la performance et de l’excellence. Il valorise l’entreprise, glorifie son chef et alimente en impôts les caisses de l’État.
Chez nous, en l’an XI de la révolution, le succès industriel est plus proche du vice que de la vertu. Il faut ne rien entreprendre, ne rien réussir, faire partie de la meute des perdants pour monter dans l’estime des politiques peu scrupuleux et des réseaux sociaux qui propagent l’invective plus que la raison.
Le succès dérange. Allez savoir pourquoi. Ce que l’on sait en revanche, c’est que certaines absences attirent davantage le regard, elles sont paradoxalement plus visibles et même largement commentées et médiatisées… La transparence n’enlève rien à la discrétion. Et à l’heure de l’explosion des réseaux sociaux, elle protège plus qu’elle n’expose.
(Publié sur les colonnes du numéro spécial « Palmarès des Entreprises tunisiennes édition Janvier 2022 »)