Mondher Lakhal, DG de la BNA, pur produit de la BNA. Il se définit non sans fierté ainsi. Il s’en honore et y voit un motif d’engagement sans fin. Mondher Lakhal, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’en est pas moins l’une des figures de proue de la nouvelle vague de banquiers tunisiens projetés dans la globalisation financière. Il en maîtrise la complexité, la subtilité et les interférences qui secouent la planète finance. A la tête de la BNA, il incarne le changement dans la continuité. Avec cette singularité de ne pas déroger à l’impératif financier, sans perdre de vue le statut de banque publique. Qui lui fait dire que la banque, vue sous cet angle, est tout autant un métier qu’une mission. Aux commandes de la BNA, il y a apporté sa touche personnelle, son enthousiasme, son attachement aux valeurs de la banque, sa capacité d’entraîner, de construire un véritable collectif. Et sa détermination et sa volonté de faire jouer à la BNA les premiers rôles sur la place de Tunis. Financer l’économie, en assumer les risques, il en a fait le véritable crédo de la BNA dont c’est, depuis sa création, l’ADN. Sur l’engagement de la banque, sa stratégie, ses objectifs, sa mutation technologique et managériale et son degré d’autonomie par rapport à la puissance tutélaire, il nous répond, avec son ton calme et résolu, sans éluder la moindre de nos questions. Interview.
Félicitations pour votre confirmation à la tête de la BNA. Est-ce que vous pouvez donner une idée à nos lecteurs de votre parcours ?
Mondher Lakhal: M. Hassen Belkhodja fût nommé en 1959 DG de la BNA et depuis, des sommités se sont succédé à la tête de cette prestigieuse banque publique qui a été et demeure l’un des bâtisseurs de l’économie nationale. Pur produit de la BNA, aujourd’hui, je suis honoré et fier d’être le 14ème DG de la banque. 29 ans de carrière : analyste de crédits à mes débuts, j’ai été nommé directeur central des Etudes et du contrôle de gestion en 2014, après avoir occupé le poste de chef de la Division « Groupes et grandes entreprises » et chef du Département « Engagements commerciaux et industriels ». Le fait d’avoir fait le tour de départements aussi importants m’a permis d’accéder, en 2017, au Comité de direction en qualité de directeur du Pôle « Risques ». J’avais pour charge d’élaborer la nouvelle stratégie de financement et d’investissement pour les différents marchés et de diriger des filiales métiers et des comités opérationnels. En 2019, à l’aube du soixantième anniversaire de la banque, j’ai été promu directeur général adjoint de la BNA, avec pour principale mission de mettre en place une nouvelle orientation stratégique, d’œuvrer au projet de transformation et de restructuration de la BNA, de piloter la réalisation du contrat-programme, d’instaurer une gouvernance conforme aux normes et standards internationaux et de renforcer la gestion des risques.
Dans tous les postes que j’ai occupés, mon leitmotiv a été : Responsabilité – Honneur – Devoir – Engagement – Confiance.
L’agriculture fait partie de l’identité de la banque. Quelle est la contribution de la BNA dans le financement de ce secteur stratégique pour le pays ?
Je tiens à préciser que bien qu’ayant un rôle crucial dans le financement des projets agricoles dans notre pays, la BNA a été et depuis sa création une banque universelle. Nous offrons à nos clients des avantages significatifs en termes de coût, de recherche et de transaction. Il n’empêche, nous avons toujours été convaincus que le crédit que nous fournissons aux opérateurs dans le secteur agricole, est un élément clé de notre écosystème. C’est ce qui explique la mise en place de services financiers adaptés à leurs besoins. Ce qui nous intéresse à terme, c’est d’investir dans les technologies et nanotechnologies agricoles. La part de l’agriculture dans le portefeuille global de la BNA varie selon la segmentation retenue. Elle est de 7% (agriculture pure et dure), de 14% quand on tient compte de l’agroalimentaire et de près de 35%, collecte de céréales incluse. Nous espérons développer encore plus les crédits destinés à l’agriculture et aux activités qui en découlent, moderniser le financement de ce secteur, inclure, via de nouveaux mécanismes financiers, une nouvelle frange de bénéficiaires, développer des filières par région et consolider celles qui ont déjà fait preuve de résilience.
Quelle était l’ampleur du soutien que la banque a apporté aux entrepreneurs durant et après la crise de Covid-19 ?
A l’instar de toutes les banques de la place, nous nous sommes engagés fermement auprès de nos clients, particuliers et professionnels. Nous avons appliqué les circulaires promulguées par la BCT en essayant d’en minimiser l’impact financier (le montant des échéances en question s’élève à près d’un milliard de dinars).
Pour atténuer le choc occasionné par la Covid-19 sur les entreprises, « Sanad », un produit BNA dédié aux entreprises, a servi à les accompagner et à les aider à couvrir leurs charges d’exploitation (salaires, matières premières, etc.). Nous avons aussi mis à la disposition du ministère des Finances la solution digitale idéale pour les opérations financières : l’application DIGIPRO. Ceci après avoir doté les recettes des finances de TPE (terminal de paiement électronique) pour activer les opérations de paiement des impôts lors du confinement.
En développant les télé-procédures, nous avons voulu offrir un meilleur service aux entreprises, grâce à un accès à des canaux innovants simplifié. Nos 60 ans d’expérience et d’expertise nous donnent la latitude de réagir vite et efficacement.
En termes de ratios prudentiels, la BNA est l’une des meilleures banques de la place et vous êtes parvenus à rémunérer vos actionnaires. D’où vient cette résilience ?
C’est grâce à la consolidation des fonds propres que la BNA a réussi, tout au long des derniers exercices, à afficher un ratio de solvabilité et un Tier One nettement supérieurs aux normes prudentielles (deux fois la norme réglementaire).
A ce titre, nous pouvons dire que la BNA est l’une des meilleures banques de la place en matière de ratios prudentiels. Entre 2015 et 2020, notre ratio de solvabilité est passé de 10,07% à 19,8% et notre Tier One s’est amélioré, passant de 7,04 à 15,40%.
Ces réalisations s’expliquent par des résultats nets bénéficiaires qui se sont accrus de 32,5% en termes de croissance annuelle moyenne depuis 2015, passant de 25 MD à 102 MD en 2020. Je rappelle aussi la cession du titre SFBT et l’augmentation inédite du capital BNA par une levée de fonds historique sur le marché financier en 2019 et qui a élevé le capital social de 176 MD à 320 MD. Ce sont là des indicateurs importants de la solidité financière de la BNA. Une solidité confirmée en 2020 par l’exercice de stress testing commandité par la BCT. Les résultats de ce stress test constituent une réaffirmation de notre résilience. Ainsi, les ratios de solvabilité et le Tier One de la banque seraient largement respectés, même dans le pire des scénarios. La BNA est aujourd’hui certifiée « MSI 20000 » par Maghreb Corporate. Une certification référence pour le secteur et qui consolide notre image de marque auprès des investisseurs et bailleurs de fonds.
En parallèle, les investisseurs ont constaté une légère dégradation de la qualité de l’actif de la banque, avec un taux de créances classées à 15,3% fin juin 2021. Quelle est la stratégie de la BNA pour l’amélioration de ce chiffre ?
Dans un contexte difficile, économique et financier, nous avons adopté une politique de gestion des risques très prudente. En fait, il s’agit d’un choix cornélien entre prudence et profitabilité. Nous avons opté pour la prudence, d’autant plus que la prochaine adoption des normes IFRS nous confortera encore plus dans ce choix. Ceci étant, il ne faut pas perdre de vue que la BNA est une banque qui supporte toutes les contraintes du public et évolue dans une activité hautement compétitive. C’est grâce à la longue expertise que nous avons cumulée sur des décennies que nous réussissons à nous placer en bonne position sur la place bancaire. Nous avons dynamisé la fonction recouvrement, établi une stratégie claire en la matière et créé des outils et mécanismes innovants pour booster cette fonction. Les résultats ne se sont pas fait attendre et les objectifs tracés ont été réalisés dès le troisième trimestre 2021. D’ailleurs, vous pouvez le constater par une simple lecture de nos indicateurs publiés au 30/09/2021.
La BNA est la première banque à participation publique et ce statut est parfois nuisible, surtout en Bourse. Réellement, quelle est l’exposition de la BNA aux entreprises publiques et quelles sont les conséquences sur sa fiabilité ?
Il y a lieu de rappeler que la BNA, en tant qu’entreprise publique, a une dimension sociale indélébile. Il y a un mot que j’aime citer et rappeler : Responsabilité. Les entreprises publiques jouent un rôle stratégique, je dirais même vital et partant, nous assumons nos responsabilités. Le secteur public accapare 35% du total de nos engagements. Vous me direz que c’est trop et je vous répondrai : j’en conviens. J’aimerais néanmoins que d’autres banques puissent partager avec nous le poids des dettes colossales de ces entreprises, dues essentiellement à une compensation décalée, en attendant de voir enfin enclencher le processus de leur restructuration, à l’instar de ce qui a été fait et réussi au niveau des trois banques publiques.
Pouvez-vous concevoir le pays sans pain, sans huile végétale, sans produits de première nécessité ? Ces facteurs n’affectent pas la BNA outre mesure. Notre banque est solide financièrement, elle a la garantie de l’Etat et elle a la capacité de se refinancer de par les BTA qu’elle détient. Je rappelle également que les capitaux propres de la BNA représentent 3 fois sa capitalisation boursière et que son action offre des marges importantes avec des perspectives attrayantes.
Quels sont les grandes lignes et les objectifs phares de la relance stratégique 2025 ?
Nous voulons devenir le leader des finances durables et offrir des produits financiers diversifiés à notre clientèle. Pourquoi finances durables ? Parce que, selon la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), la valeur des produits d’investissement à thématique de durabilité a atteint les 3 200 milliards de dollars en 2020, ce qui équivaut à plus de 80% par rapport à 2019. Le marché des capitaux s’aligne de plus en plus sur des objectifs durables, et ceci conforte notre choix de nous engager dans les ODD (Objectifs de développement durable). Nous voulons aussi développer un pôle financier intégré, pour épargner à nos clients temps et argent. Le groupe BNA offrira désormais des produits dans la bancassurance, le microcrédit, le leasing, la gestion du patrimoine, la banque d’affaires, le factoring, la promotion immobilière, l’intermédiation boursière, le recouvrement et l’« equity ». Nous garderons, tout en la développant, notre activité de banque universelle (renforcement et consolidation sur tous les marchés avec un repositionnement sur le marché Retail). Nous accélèrerons notre transformation digitale. Nous ambitionnons aussi d’investir dans de nouveaux systèmes et de former nos employés aux technologies bancaires de pointe. La digitalisation de la relation client, des moyens de paiement et des processus est notre leitmotiv. Le slogan reflétant notre identité est : « Banque Responsable ». Il y a aussi un axe indispensable au développement de notre banque : les ressources humaines. Ainsi, nous veillerons à la valorisation du capital humain : nouvelle solution RH, nouvelles méthodes d’apprentissage, nouvelles méthodes de gestion des carrières et des compétences… Enfin, nous suivrons de nouvelles politiques dans l’octroi des crédits par la gestion et la surveillance des risques. L’épanouissement humain, à mon sens, doit être la raison d’être de l’entreprise, l’essentiel. Au-delà de la mesure de la performance économique et financière, c’est aussi cette dynamique qui se crée et à laquelle chacun contribue.
C’est notre vision et notre conception. Du modèle d’entreprise que la BNA souhaite bâtir, c’est le management par la confiance, « l’art de commander à des hommes libres », comme disait Aristote.
Lors de la dernière Assemblée générale, vous avez annoncé l’instauration d’un nouveau style de gestion des ressources humaines. Où en êtes-vous ?
La BNA a très tôt pris conscience du rôle stratégique d’une bonne gestion des ressources humaines. Il s’agit d’une nouvelle politique sociale qui aspire à jouer un rôle de « Business Partner ». Nous travaillons en étroite collaboration avec nos managers opérationnels, car nous sommes fermement convaincus qu’ils sont le fer de lance de toute évolution et croissance de notre banque. A ce titre, nous estimons que leur adhésion à toute stratégie de développement est indispensable. En mettant l’homme au cœur de toutes nos stratégies de développement et de toutes les décisions stratégiques de la BNA, nous visons l’excellence.
En communiquant, en informant et en pilotant un dialogue social constructif, nous favorisons la cohésion sociale au sein de la banque. En organisant des activités RH autour d’une gestion individualisée de développement des compétences, nous optimisons les performances du capital humain. Plus un collaborateur s’épanouit dans son travail, plus il excelle et donne le meilleur de lui-même.
Quelle est la stratégie RSE de la BNA ?
Avant de parler de notre stratégie RSE qui date de plusieurs années, je voudrais rappeler la loi n°2018-35 du 11 juin 2018 portant sur la responsabilité sociétale des entreprises. La RSE représente un axe important dans l’exercice de toute institution. Il s’agit, comme vous le savez, d’inciter les entreprises à participer au développement durable et d’encourager la bonne gouvernance. La BNA est allée plus loin dans son engagement RSE, elle a adhéré au Pacte mondial des Nations unies. Elle a signé une convention de coopération avec le Réseau Pacte mondial Tunisie (RPMT). Le volet RSE sera pris en compte dans les axes suivants : développement stratégique, renforcement des capacités, réseautage & partenariats. Le but est d’inculquer la culture RSE au personnel de la banque et de participer activement aux activités du RPMT.
A terme, la BNA veut devenir la banque verte (Green Bank), ce qui implique des financements et investissements verts. Ce choix stratégique visera à diminuer l’empreinte environnementale liée au fonctionnement propre. Notre approche, écologique, sera illustrée par un achat et une consommation responsables et une construction durable.
La BNA est et restera une banque citoyenne (Citizen Bank). Elle œuvrera continuellement au financement de l’économie sociale et solidaire.
La BNA investit également dans l’éducation (réhabilitation de 7 écoles), socle de tout développement socioéconomique, à travers aussi le transport des écoliers et la création de clubs ODD et informatiques dans les établissements scolaires. La BNA a investi aussi dans la santé et le sport. Elle a procédé cette année à la signature d’une convention de partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des Sports pour l’aménagement et l’installation de 7 terrains de quartiers omnisports ainsi que le parrainage de 10 athlètes (BNA OLYMPIC TEAM/JO Tokyo 2021). L’environnement occupe également une place importante dans la politique RSE de la BNA. La banque accompagne ses clients dans la transition vers une économie bas carbone, finance des projets d’énergies renouvelables et offre un large éventail de produits verts. En fait, à la BNA, l’engagement social et solidaire n’est pas qu’un discours, c’est une posture observée dans l’élaboration de toute stratégie de gestion et de développement de la banque, illustrée par des actes concrets.
Comment voyez-vous l’avenir de la banque ?
Rassurant ! Comme je vous l’ai déjà dit, nous visons l’excellence. L’excellence en étant leader des finances durables, en offrant une large panoplie de produits à nos clients et en les diversifiant. Nous accélèrerons notre transformation digitale pour accompagner les grands changements socio-économiques mondiaux. L’homme sera au cœur du développement de la BNA et nous veillerons à ce que nos ressources humaines soient impliquées dans la réussite et la croissance de leur banque et récompensées pour leur engagement. Nos clients peuvent nous faire confiance. La BNA sera toujours leur parapluie, aussi fortes que seront les averses et aussi mauvais que sera le temps.