Après moult avertissements, le président de la République, Kaïs Saïed est passé à l’acte en décidant de dissoudre le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Une mainmise de ce qui échappe encore au pouvoir absolu qu’il détient entre ses mains, le pouvoir judiciaire, réduit par le Président à une simple « fonction » ?
Coupez la tête, les racines s’assécheront d’elles mêmes. Le Président de la République, Kaïs Saïed, s’est certainement inspiré de ce vieux dicton populaire quand il prononça à 0h30 dans la nuit du samedi à dimanche dernier, son terrible verdict: « Le CSM appartient au passé à partir de ce moment ». Frappant ainsi au cœur l’appareil judiciaire dans son ensemble. Sachant que l’allocution particulièrement agressive a été enregistrée un peu plus tôt dans les locaux du ministère de l’Intérieur. Une bourde politique.
Rien que des promesses ?
Revenant à la charge, hier lundi 7 février, lors de l’audience accordée à la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, le Président justifiait sa décision de barrer d’un trait de plume rageur, cette institution constitutionnelle créée par la Constitution de 2014. « J’ai déjà annoncé la dissolution du CSM. Sur ce point, je tiens à rassurer tout le monde, en Tunisie et à l’étranger, je ne vais jamais m’ingérer dans la justice ».
Et d’ajouter: « Nous n’avons eu recours à la dissolution que parce que cela est devenu une nécessité, mais aussi parce que le peuple tunisien veut l’assainissement du pays ». Avant de promettre, solennel, « je ne vais intervenir dans aucune affaire en justice, encore moins pour les nominations. Cela dit, le devoir et la responsabilité nous ont obligés à mettre un terme à ces mascarades ». Et de reconnaitre: « Certains disent que le président de la République veut réunir tous les pouvoirs. Mais je n’aspire qu’à une Constitution qui réponde aux attentes des Tunisiens ». Nous voilà rassurés!
CSM : nombreux griefs
Reconnaissons quand même qu’à l’image de la plupart des institutions en Tunisie lors de la décennie noire post-révolution, le Conseil Supérieur de la Magistrature n’a pas tenu ses promesses. Et qu’il a même failli à son devoir de dernier bastion de l’indépendance de la justice. Il est même l’objet d’une virulente contestation populaire.
Mais, de l’avis de plusieurs observateurs politiques, il était plus judicieux de réformer le CSM en profondeur. En le purgeant de l’intérieur, au lieu de le dissoudre brutalement. Prêtant ainsi le flanc à ceux, de plus en plus nombreux, qui soupçonnent le Président d’avoir entrepris le hold-up du siècle en s’accaparant tous les leviers du pouvoir. Le dernier en date étant le pouvoir judiciaire. Lequel n’est à ses yeux qu’une « fonction » au service de l’État et du peuple souverain. Récusant ainsi la République et quelle république des juges?
Préoccupations
La preuve? La porte-parole du vice-président de la Commission européenne Josep Borrell, Nabila Massrali, a promptement exprimé la préoccupation de l’Union Européenne face à cette décision. « Nous suivons avec préoccupation l’évolution de la situation en Tunisie. Y compris les récentes annonces du président de la République sur la dissolution du Conseil Supérieur de la Magistrature ».
« Tout en respectant la souveraineté du peuple tunisien », a-t-elle indiqué sur un ton diplomatique. Elle poursuit: « Nous rappelons, une fois de plus, l’importance de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance judiciaire en tant qu’éléments clés pour la démocratie, la stabilité et la prospérité du pays. » Avant de rappeler avec fermeté que « des réformes substantielles comme celle-ci, aussi importante et nécessaire qu’elle puisse être, doivent être le résultat d’un processus inclusif et transparent ».
AMT : « une régression grave et sans précédent »
Même son de cloche, mais plus radical, de la part de L’Association des magistrats tunisiens (AMT). Puisqu’elle considère l’annonce du président de la République, comme « un reniement des attributs du régime démocratique. Et ce, en termes d’indépendance constitutionnelle, juridique, structurelle et fonctionnelle de la magistrature. Une démolition de ses institutions constitutionnelles, et une manière de torpiller sa construction constitutionnelle ».
De plus, l’annonce présidentielle représente aux yeux des magistrats « une régression grave et sans précédent, par rapport aux acquis constitutionnels. Et une tentative d’inféoder la magistrature au pouvoir exécutif, dans le cadre d’un régime où le président de la République concentre tous les pouvoirs entre ses mains ».
Un soutien inattendu
Cependant, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Brahim Bouderbela n’est pas de cet avis. Ainsi, il affirmait dans une interview accordée hier lundi à Mosaïque FM, que le Conseil de la magistrature « n’a pas été dissous, mais que sa composition a été revue ». Affirmant par ailleurs « traiter positivement avec la décision du président de la République, Kaïs Saïed et qu’il soutenait toute initiative de réforme ». Cette déclaration reflète-elle la position de l’ensemble des avocats? L’avenir nous le dira.
Enfin, les observateurs les plus cyniques soupçonnent fortement Kaïs Saïed d’avoir puni les magistrats les plus récalcitrants à accélérer les procédures judiciaires contre ses ennemis politiques. Noureddine Bhiri en est l’exemple type. Alors, par dépit, il a cassé la baraque sur la tête de l’ensemble du système judiciaire. Le CSM en premier lieu.