L’actuel Conseil supérieur de la magistrature sera dissous et remplacé par un autre. Ainsi, trancha le président de la République, Kaïs Saïed au sujet de cette institution constitutionnelle. Alors comment expliquer ce un pas en avant, deux pas en arrière? A-t-il plié sous les pressions venues de l’étranger?
Une manœuvre tactique? Pas un seul jour ne se passe sans que le président de la République, Kaïs Saïed, en conflit ouvert avec le pouvoir judiciaire qu’il persiste à réduire à une simple « fonction », ne fustige dans ses discours enflammés le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Rendant cette institution constitutionnelle responsable de tous les maux de la terre. Critiquant sans cesse ses décisions, l’accusant de corruption et la jugeant infiltrée par ses opposants politiques. Notamment le mouvement Ennahdha, sans jamais le nommer directement.
Le CSM de facto caduque
Ainsi, dans la nuit du samedi à dimanche 6 février, il prononça son terrible verdict : « Le CSM appartient au passé à partir de ce moment ». Stupeur en Tunisie même si la classe politique s’y attendait un peu. Mais consternation et « grave préoccupation » dans les chancelleries occidentales. Sachant que l’allocution présidentielle, particulièrement agressive, a été enregistrée un peu plus tôt dans les locaux du ministre de l’Intérieur. Un signal effarant.
Revenant à la charge le lundi 7 février, lors de l’audience accordée à la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, le Président persiste et signe. En justifiant le recours à la « dissolution », le mot est prononcé pour la première fois, « parce que cela est devenu une nécessité. Le devoir et la responsabilité nous ont obligés à mettre un terme à cette mascarade ». Ainsi, nous croyions que le sort du CSM était désormais scellé. Et que juridiquement, cette institution devenait de facto caduque.
Revirement?
Pourtant, ne voilà-t-il pas qu’un nouveau rebondissement dans ce thriller politico-juridique intervient. En effet, à peine trois jours plus tard, le chef de l’Etat se rétracte. On garde la carcasse mais on vide le corps de cette institution de sa quintessence. Comment et par quel mécanisme?
« L’actuel Conseil supérieur de la magistrature sera dissous conformément à ce décret et sera remplacé par un autre ». Ajoutant « qu’il n’est plus question de douter de ce choix, car la Tunisie doit passer à l’assainissement. Et ceci n’est possible qu’en commençant par la justice ». Ainsi, trancha Kaïs Saïed, dans une vidéo publiée jeudi 10 février 2022 sur la page FB officielle de la présidence de la République.
A signaler à ce propos la perspicacité du bâtonnier des avocats, Brahim Bouderbala. Lequel était le seul à avoir compris la logique présidentielle. Puisqu’il était le premier à soutenir lundi 7 février 2022, lors de son passage dans Midi Show sur Mosaïque FM, que les déclarations du président de la République concernant le Conseil supérieur de la magistrature « ne stipulent pas sa dissolution »; mais plutôt « la révision de la composition de son Bureau ».
Ecartant la possibilité de dissoudre cette institution par le chef de l’Etat, il affirmait, catégorique: « Je pense qu’il est impossible que le président de la République fasse une chose pareille ». Était-il dans la confidence du Président et parlait-il en son nom?
Marche arrière
Reste à savoir: en faisant marche-arrière, le président de la République était-il sous pression; et ce, suite à la réaction des magistrats? Lesquels, via leurs associations, menacent de mettre la clé sous la porte de leurs tribunaux. Difficile à croire, tellement la grève déclenchée les 9 et 1 février est impopulaire.
La vérité c’est que la pression vient de l’étranger. Ainsi, la Commission européenne « suivait avec préoccupation » l’évolution de la situation en Tunisie. Quelques heures plus tard, Washington soulignait par la voie du porte-parole du Département d’Etat, Ned Price, « l’importance d’un pouvoir judiciaire indépendant pour une démocratie efficace et transparente ». Sans omettre la réaction des ambassadeurs des pays du G7 qui rappelle « qu’un système judiciaire transparent, indépendant et efficace et la séparation des pouvoirs sont essentiels pour une démocratie fonctionnelle qui sert son peuple ».
Est-ce par orgueil que notre Président répète à l’envie dans ses discours que la Tunisie est un « pays souverain » tout en fustigeant « l’ingérence étrangère »?
Tout à fait d’accord, sauf qu’un pays souverain et fier de l’être ne sollicite pas l’aide étrangère. Presque en mendiant…