Le président de la République a finalement franchi le pas et publié au journal officiel le décret relatif à la nomination d’un Conseil supérieur provisoire de la magistrature. Ce dernier remplace le CSM en activité depuis 2017. L’aurait-il fait le 25 juillet en même temps que le gel du parlement, il aurait évité au pays une perte de temps dommageable et mis hors jeu, pour ne pas dire Knock Out, tous ceux qui vocifèrent aujourd’hui dans les manifestations ou dans les plateaux de télévision et sur les ondes des radios publiques et privées.
Près de sept mois d’atermoiements, de tergiversations et de valse-hésitation ont convaincu les piliers de la justice de Bhiri et les politicards et les journaleux qui les soutiennent que tout n’est pas perdu. Qu’il est possible de forcer le président à faire machine arrière. Que le temps offert par l’hésitation présidentielle joue en leur faveur. Que les pressions extérieures pourraient faire plier le président Saïed. Si toutefois on arrive à faire avaler aux décideurs euro-américains la fiction de l’indépendance de la justice tunisienne et que cette fiction est en danger avec la dissolution du CSM.
On veut sérieusement nous faire croire aujourd’hui que ce que le président est en train de faire, c’est de substituer, par simple signature d’un décret, une justice aux ordres du Palais à une justice indépendante. Que le président n’est pas en train de s’attaquer à un système judiciaire gangréné et apprivoisé, mais à une justice digne et indépendante. A croire les slogans affichés au cours de la manifestation de dimanche à l’Avenue Mohammed V, ce n’est pas la justice de Bhiri qui est la cible. Mais une justice au service du citoyen que le président veut détourner de sa noble mission pour en faire un instrument à son service.
Rafraîchissement de mémoire
Une série de questions doivent être posées. Elles pourraient aider à rafraichir la mémoire des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dissous, de l’Association des magistrats tunisiens et des politicards vociférateurs.
- En cinq ans d’exercice, les 45 membres du Conseil dissous ont-ils une seule fois tiré la sonnette d’alarme pour montrer leur désaccord face au dévoiement de la justice?
- Ont-ils eu une seule fois la curiosité d’examiner les arguments et les preuves fournies par le travail de fourmis sur des années par les membres du Comité de défense des martyrs Belaïd et Brahmi?
- Se sont-ils demandé comment se fait-il que les actes terroristes du Bardo, de Sousse et de l’Avenue Mohammed V, pour ne citer que les plus désastreux, ont été tout simplement oubliés? Comme s’ils n’ont pas fait des dizaines de victimes entre touristes étrangers et agents de sécurité? Comme s’ils n’ont pas condamné à mort le tourisme dans le pays? Et comme s’ils n’ont pas mis au chômage des centaines de milliers d’employés? ou comme s’ils n’ont pas étranglé l’un des plus importants piliers de l’économie tunisienne ?
- Ont-ils été interpellés par l’envoi massif de jeunes dans les bras des organisations terroristes en Syrie et en Libye? Et ce, pour tuer des innocents à coups d’attentats-suicide?
- Ont-ils ressenti la moindre honte à voir la Tunisie perdre sa bonne réputation internationale après avoir été mise à l’index comme grand exportateur de terroristes?
- Ont-ils exigé une enquête sur l’incroyable information relative à l’enterrement de plus de 6000 dossiers liés au terrorisme par Béchir Akremi?
- Se sont-ils interrogés sur le sort de dizaines de milliards de dollars en dons et en prêts reçus par le pays depuis 2011?
Léthargie, intérêts étroits et corporatismes
Comment alors expliquer cette léthargie du CSM, la plus haute institution judiciaire? Sinon par le fait que l’intérêt personnel des membres passe avant celui du pays. Comment expliquer leurs réactions virulentes? Sinon par leur peur de voir l’intérêt général se substituer aux intérêts étroits et aux corporatismes.
Les cris, les hurlements et les lamentations vociférés sur le sort de la justice dans les manifestations et sur les médias ont très peu de chances de convaincre les Tunisiens. Car tout le monde sait, y compris les hurleurs et les vociférateurs, qu’aujourd’hui, la justice tunisienne n’a jamais été aussi honnie, aussi abhorrée, aussi vilipendée.
« Les cris, les hurlements et les lamentations vociférés sur le sort de la justice dans les manifestations et sur les médias ont très peu de chances de convaincre les Tunisiens »
L’épouvantail de la dictature agité ici et là n’est d’aucune aide. Même s’ils répètent à l’envie ce qu’a écrit un « journaliste » dans un accès d’hystérie sur un site électronique. A savoir que « Kaïs Saïed a plus de pouvoirs que Pinochet, Saddam Hussein et Kim Jung-Un réunis »…
Le président de la République a certes beaucoup de pouvoirs; mais il ne peut pas faire ce qu’il veut. Les conditions intérieures et extérieures de la Tunisie et son environnement interdisent désormais les carrières de dictateurs.
« Cela dit, si on a permis à Ennahdha de mettre à genoux le pays, son économie et sa justice, pourquoi ne permet-on pas au président de réparer les dégâts? En poursuivant avec le remplacement du CSM ».
S’il n’y a aucun autre choix aujourd’hui qu’entre redonner le pouvoir aux destructeurs et mettre sous essai et sous surveillance les réparateurs, le minimum de bon sens veut que l’on opte pour le second terme de l’alternative.
Mais le président, quelle que soit la force de sa volonté et sa détermination, ne pourra rien faire tout seul. Notre système judiciaire ne sortira réellement de l’ornière que si les milliers de juges, d’avocats et d’huissiers de justice patriotes se libèrent de l’inhibition et de l’impuissance qui les empêchent de voler au secours de la Justice et de lui restituer son honneur et sa dignité perdus.