La reprise de la croissance passe, entre autres, par l’investissement. Généralement, l’absence de ce dernier est expliquée par le coût de financement bancaire exorbitant et le climat pourri des affaires. Certes, ces éléments pèsent, mais ce n’est pas tout. Nous oublions souvent qu’il y a un problème plus profond et qui s’avère plus compliqué à résoudre: la rentabilité.
Ce facteur dépasse, en importance, les autres. Il y a des pays où le Taux Directeur et l’inflation sont à deux chiffres; pourtant les investissements n’ont jamais reculé. Tout est une question de marges qu’un projet pourrait dégager. En Tunisie, quel est le business légal qui pourra générer une rentabilité nette supérieure à 20%? Une minorité qui se compte sur les doigts d’une main et qui parvient à réaliser une telle performance grâce à des barrières à l’entrée. Les sociétés qui enregistrent des bénéfices élevés le font car elles ont une position mono ou duopolistique.
Petit marché
Pour doper la rentabilité, les entrepreneurs choisissent de faire intervenir plus de machinerie et d’intelligence artificielle dans les processus de fabrication. Avec la petite taille de notre marché, il faut penser exportation et donc qualité. Les projets, qu’ils soient industriels ou agricoles, sont devenus moins intenses en ressources humaines moyennement ou peu qualifiées, au profit de profils hautement qualifiés capables de gérer ces technologies. C’est pour cela que même s’il y a des investissements en milliards de dinars chaque année, l’impact sur l’emploi est quasiment nul. Les années où l’Etat ne recrute pas sont blanches en termes de création d’opportunités de travail.
Un emploi coûte cher
Ce qui corrobore cette thèse sont les chiffres de l’APII et de l’APIA. Selon les statistiques des intentions d’investissements industriels pour 2021, la création d’un poste d’emploi en industrie nécessite un investissement de 144 638 TND! Qui est l’investisseur capable aujourd’hui de mobiliser une enveloppe suffisante pour créer une centaine d’emplois pour les jeunes?
En agriculture, un poste d’emploi a coûté 133 822 TND en 2021. Le secteur souffre d’un manque de main-d’œuvre et s’oriente à grande vitesse vers l’intégration de l’intelligence dans les processus de production au détriment de la main-d’œuvre.
Pour le service, la situation est meilleure. La création d’un poste d’emploi coûte 34 331 TND. Ce n’est pas rien, surtout si nous tenons compte que les prestataires de services en Tunisie choisissent des asset-light models, qui ne consomment pas trop de ressources financières. Il y a aujourd’hui la possibilité de passer par les coworking spaces. Au lieu de supporter des charges locatives importantes, de recruter en mode freelance que de signer des CDI, et même travailler à distance.
Méfiance
A tout cela, s’ajoute une composante que nous devons avouer. Il y a de plus en plus de méfiance dans les opérations de recrutement. Avoir une masse importante d’employés risque de se transformer en un casse-tête social, surtout s’il y a un syndicat. Certains industriels, qui ont connu une expérience amère en 2011, ont tout liquidé progressivement et quitter le secteur productif à jamais.
Mettre en place des politiques publiques qui incitent à l’investissement et l’emploi sont au cœur de toute stratégie. Pour employer plus, il faut rehausser les qualifications des demandeurs d’emplois. Il convient de miser sur la formation initiale et continue, et sur les cycles complémentaires.
Pour les entreprises, il faut maximiser leur chance d’atteindre les marchés extérieurs. L’Etat doit investir dans des zones industrielles liées aux ports et aux aéroports, dans les infrastructures routières et l’administration digitale. Il faut également déverrouiller les secteurs où la concurrence est inexistante. La majorité de ces réformes ne coûteront pas un dinar à l’Etat. Il faut juste avoir le courage et signer des décrets.