L’impasse n’est pas que d’ordre politique en Tunisie. Elle est aussi de nature financière. Les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) en vue d’un accord sur un nouveau prêt pluriannuel s’éternisent, alors que la situation économique et sociale ne cesse de se dégrader.
Des négociations avec le FMI encore loin de toute conclusion et dont les aléas nourrissent l’insécurité économique et financière d’un pays endetté à 100 % de son PIB et en quête de 6 milliards d’euros pour couvrir ses dépenses en 2022. L’Etat peine en effet à rembourser ses dettes et à boucler son budget. Il s’agit du 4e prêt négocié depuis la révolution de 2011 pour boucler un budget en manque de recettes.
L’enjeu réside aussi dans le fait que l’obtention de ce prêt ouvrirait les portes d’autres bailleurs et l’accès à des fonds supplémentaires. Malgré le retour d’une croissance à un peu plus de 3% en 2021 et autant de prévu pour 2022, la Tunisie ne semble pas avoir le choix que cette quête éperdue de fonds internationaux. Rappelons que la pandémie de Covid-19 a provoqué l’une des pires récessions qu’a connues le pays depuis son indépendance …
Le coût politique et social d’un éventuel prêt
Il n’empêche, l’obtention du prêt ne serait pas synonyme pour autant de « sortie de crise », car la crise est systémique (et pas uniquement de nature financière) et son coût social semble exorbitant du point de vue d’une grande partie de la population qui subit déjà un long processus de la paupérisation. Difficile encore à imaginer une diminution drastique des subventions aux produits de première nécessité, une coupe budgétaire dans la masse salariale de l’État (autrement dit un allégement du poids de la fonction publique qui représente 16% du PIB), une restructuration de nombreuses entreprises publiques…
De telles contreparties auraient un coût social et politique difficile à ignorer pour un pouvoir politique déjà contesté au regard de sa dérive autoritaire.
« Il n’empêche, l’obtention du prêt ne serait pas synonyme pour autant de « sortie de crise », car la crise est systémique (et pas uniquement de nature financière) »
Comment imposer de telles « réformes » ? Par l’adhésion? Par la conviction ou Par la force ? Des interrogations qui nourrissent les doutes et mises en garde de l’UGTT. La puissante centrale syndicale a déjà manifesté son refus de tout plan visant à supprimer les subventions sur les produits de première nécessité ou à geler les recrutements dans la fonction publique.
Est-ce que le pouvoir présidentiel est assez fort pour supporter la réaction populaire aux conséquences d’un accord avec le FMI ? Le président Kaïs Saïed est-il prêt à prendre le risque d’une explosion sociale en cette année électorale ?
Un Etat sous cont rôle
Il serait paradoxal qu’un accord avec le FMI place le pays sous un contrôle resserré de l’institution internationale, alors même que le président en exercice a été élu avec un discours nourri d’envolée patriotique sur fond d’appel à l’indépendance nationale.
Le FMI a en effet les moyens de mettre en place des mécanismes d’examen systématique des politiques de l’Etat au regard de ses engagements/obligations.
Des pouvoirs et les techniques d’inspection, de surveillance et de contrôle diversifiés existent.
« Il serait paradoxal qu’un accord avec le FMI place le pays sous un contrôle resserré de l’institution internationale… »
Quel que soit leur degré de perfectionnement, ces mécanismes ont pour trait commun d’avoir été institués pour encadrer et obliger les Etats dans le cadre « corporatif » particulier constitué par l’organisation internationale à respecter les règles qu’ils ont eux-mêmes librement consentis. D’où l’intérêt de la transparence des négociations actuelles : jusqu’où ira l’exécutif pour obtenir le nouveau prêt ?
Plus largement, cette situation souligne le double paradoxe du président Kaïs Saïed : d’une part, son poids politique interne contraste avec sa faible marge de manœuvre dans les relations internationales ; d’autre part, tous les pouvoirs institutionnels qu’il s’est arrogé contrastent avec une forme d’impuissance à changer la donne économique et sociale.