Décidément, le pays n’arrête pas de jouer de malchance sans le moindre répit. Entre élections rapprochées, grave crise sanitaire, confinement général prolongé, congrès d’acteurs politiques et sociaux majeurs au retentissement national. Nous sommes, au vu des résultats, comme poursuivis par un signe indien, par la malédiction d’élections libres, censées être le couronnement et l’incarnation de la démocratie.
L’UGTT, le creuset de tout temps de la démocratie, n’y échappe pas. Elle a moins d’aisance que par le passé pour organiser son congrès, qui ne fait pas l’unanimité. L’événement ferme la marche d’une série de compétitions électorales qui ont fracturé le pays et amenuisé son potentiel de développement. A moins que le Président de la République ne soit lui-même en campagne, en prévision des prochaines élections législatives de décembre 2022.
Le congrès d’une centrale ouvrière n’est jamais un long fleuve tranquille. Ceux qui veulent faire la course en tête font d’habitude monter la pression pour faire bouger les lignes de partage de la valeur ajoutée globale. Histoire de répondre à l’attente des congressistes. Par chance, la direction de l’UGTT s’est contentée de simples pétitions de principe, sans grande conviction revendicatrice. Juste pour se dédouaner auprès de sa base.
« Nous sommes, au vu des résultats, comme poursuivis par un signe indien, par la malédiction d’élections libres, censées être le couronnement et l’incarnation de la démocratie »
Noureddine Taboubi a fait preuve de retenue, d’un sens aigu de la mesure et de la responsabilité, au risque de donner des arguments massues à ses adversaires syndicalistes, au moment où le schisme menace la centrale ouvrière. Il ne s’est pas laissé prendre au jeu de ses opposants qui récusent le congrès, au motif qu’il acte le changement du règlement intérieur en levant l’interdiction pour les membres du BE de briguer un 3ème mandat.
Noureddine Taboubi et les siens n’ont pas cherché à donner de la voix et à verser dans des revendications salariales outrancières pour faire taire leurs adversaires. Ils pouvaient d’autant plus le faire qu’ils s’y sentaient poussés par la hausse du coût de la vie et la dégradation du pouvoir d’achat.
Eternel conflit entre droit et justice ! En changeant les règles du jeu au cours de la partie, la direction de l’UGTT ne s’offre plus en modèle d’exemplarité. A sa décharge, l’amendement du règlement intérieur a été entériné par un congrès antérieur organisé à cet effet. L’opposition n’a pas été réduite au silence, elle dut s’incliner sans se résigner face à la volonté de changement de la majorité. Episode douloureux mais qui ne doit pas occulter les graves enjeux du moment.
Rendons à cet égard grâce à l’UGTT d’incarner, en ces temps difficiles de survie pour le pays, un syndicalisme responsable, engagé et militant pour la cause nationale. Rien d’étonnant à cela. Cette attitude fait partie de l’ADN, du patrimoine génétique de la centrale syndicale, qui ne s’est jamais départie de ses responsabilités politiques.
« Noureddine Taboubi a fait preuve de retenue, d’un sens aigu de la mesure et de la responsabilité, au risque de donner des arguments massues à ses adversaires syndicalistes, au moment où le schisme menace la centrale ouvrière »
Le secrétaire général de l’UGTT, sans être le seul, a toutes les chances d’être réélu pour un 3ème mandat. C’est loin d’être une sinécure, car il n’ignore pas que le pays est dos au mur.
Qu’il est sous sommation du banquier de la planète, le FMI, comme de tous les bailleurs de fonds, pays frères et amis, organismes et marchés financiers. Il n’ignore pas non plus que par bien des aspects : dettes, faillite financière, chômage, inflation, insécurité et pénuries, le pays marche sur les traces du Liban.
Et pourrait même ne pas pouvoir éviter le scénario grec qui a vu l’État réduire de plus de 20% les salaires de la Fonction publique et des pensions de retraite.
L’UGTT, acteur social et politique majeur, ne peut se dérober à ses responsabilités et obligations quand sonne l’heure du sursaut national. Nécessité fait loi. Le poids des salaires de la Fonction publique à plus de 16% du PIB déshonore la notion même de valeur travail. Le volume insoutenable des dépenses de subventions sans discernement n’a aucun effet d’entraînement sur l’offre locale.
Le coût financier, aux frais du contribuable, du maintien d’entreprises publiques devenues d’horribles machines de destruction de richesse et de valeur, est une insulte à notre intelligence collective. L’évasion et la fraude fiscales achèvent de faire fuir les investisseurs, provoquent le déclin de la croissance, condamnent les créations d’emplois. Et hypothèquent l’avenir. Cela ne pouvait ni ne devrait durer, sauf à provoquer un séisme social d’une très forte magnitude. Et à subir l’impensable, la tutelle des puissances étrangères.
« L’UGTT, acteur social et politique majeur, ne peut se dérober à ses responsabilités et obligations quand sonne l’heure du sursaut national »
L’UGTT, l’héritière de Hached et de Achour, si attachée soit-elle à la justice et à la cohésion sociale, se doit d’intégrer ce principe de réalité et de s’inscrire dans une démarche qui concilie efficacité économique et impératif social. Sans quoi, trop de social tue le social.
Ni dogme ni tabou qui seraient la démonstration du refus du progrès économique, technologique et social. L’UGTT doit simplement s’adapter aux transformations de l’économie et de la société. Et adapter son mode de pensée et d’action face au nouveau monde qui arrive, pour ne pas apparaître comme une réplique d’un passé révolu.
Dans ce nouveau rôle, Noureddine Taboubi et l’ensemble des cadres syndicaux auront fort à faire pour calmer le jeu, adoucir la pilule de l’austérité, relancer la machine économique et apaiser les rapports sociaux tout en évitant les risques de dissension, voire d’implosion de l’UGTT.
Demain, sitôt éteints les lampions du congrès controversé, il faut de nouveau colmater les brèches et construire avec celles et ceux qui sont aujourd’hui dans le camp du refus. Il faut soigner les blessures, résorber les divergences et les divisions.
L’UGTT n’est jamais aussi forte, responsable, influente et écoutée que quand elle fait face à l’adversité. Rarement le besoin d’une UGTT unie, pleinement engagée dans le sursaut de redressement national ne s’est fait autant sentir.
(Article publié dans le n°838 de l’Economiste Maghrébin du 16 février au 02 mars 2022)