L’économiste Ezzedine Saidane affirme que l’éclatement de la guerre en Ukraine aura certainement des retombées sur l’économie tunisienne. Et ce, lors d’une interview accordée à la TAP.
Selon Ezzedine Saidane, le pays sera surtout impacté au niveau des importations des hydrocarbures, des céréales et des matières premières. Mais aussi au niveau de l’activité touristique.
« Une gestion anticipative des crises aurait pu permettre au pays d’atténuer ces retombées. Mais à défaut, il va falloir mettre en place la stratégie adéquate pour pouvoir gérer cette situation », estime t-il.
Quelles répercussions pourrait avoir la guerre en Ukraine sur l’économie tunisienne ?
La guerre en Ukraine impactera certainement l’économie mondiale toute entière. Et étant donné que la Tunisie est un pays ouvert, son économie va certainement être touchée.
Ezzedine Saidane: chaque dollar de plus coûte à la Caisse de compensation
La première conséquence directe, c’est la flambée des prix du baril de pétrole.
En effet, le budget de 2022 a été élaboré sur la base d’une hypothèse d’un prix du baril de 75 dollars. Or nous en sommes à 105 dollars actuellement. Chaque dollar de plus coûte à la Caisse de compensation et au budget de l’Etat l’équivalent de 120 millions de dinars. Ce qui aura des conséquences très négatives sur l’approfondissement de la crise des finances publiques. Même les montants prévus en tant que crédits supplémentaires pour l’année 2022, risquent d’être largement dépassés.
La Tunisie importe plus de 50% de ses besoins en blé en provenance de l’Ukraine
La deuxième conséquence concerne les prix des matières premières, notamment le blé. Il ne faut pas oublier que la Russie et l’Ukraine figurent parmi les plus grands exportateurs de blé dans le monde. Le prix du blé a déjà été impacté ces derniers jours, augmentant de plus de 15%. Et il risque de continuer à progresser. Sachant que la Tunisie importe plus de 50% de ses besoins et qu’une grande partie du blé importé provient d’Ukraine.
La troisième conséquence directe concerne la saison touristique. En effet, avec l’accalmie de la pandémie et le niveau de la vaccination atteint, on s’attendait à une certaine reprise du secteur touristique. Mais vu l’importance des pays de l’Europe de l’Est et de la Russie en termes de flux touristique vers la Tunisie, je pense qu’avec la guerre en Ukraine, la saison touristique n’atteindra pas le niveau espéré avant l’éclatement de ce conflit.
La quatrième retombée de la guerre en Ukraine est l’augmentation des prix des matières premières importées. Ce qui pourrait impacter directement l’industrie tunisienne qui traverse déjà un moment délicat. Il en va de même d’autres effets qui pourraient encore se faire sentir au niveau des exportations tunisiennes vers ces pays.
Est-ce qu’on pourrait craindre une pénurie des produits de première nécessité notamment les céréales à cause de cette guerre?
Cette situation risque de pousser les prix à un niveau très élevé
Ezzedine Saidane: Oui, c’est possible mais cela ne concerne pas uniquement la Tunisie. En effet, si les exportations russes et ukrainiennes sont bloquées ou baissent sensiblement, c’est le monde entier qui va le sentir. Cette situation risque de pousser les prix à un niveau très élevé qui pourrait empêcher la Tunisie de s’approvisionner en quantités nécessaires.
Que faire pour atténuer ces impacts ?
Il faut avoir la stratégie adéquate pour faire face à cette crise. Il fallait l’avoir avant même l’éclatement de la guerre, parce que cela fait un bon moment déjà que les choses se sont envenimées dans cette partie du monde.
Ezzedine Saidane: Il faut avoir la stratégie adéquate pour faire face à cette crise
Si nous n’avons toujours pas cette stratégie, il faut la mettre en place le plus vite possible parce que cette guerre va nous impacter très sérieusement et il faut avoir les bonnes réponses aux défis qui s’imposent.
L’une des réponses qu’on aurait dû avoir à un moment donné, c’était celle de s’assurer une bonne couverture en termes d’hydrocarbures, au moment où les prix du baril étaient au plus bas, au début de la pandémie du coronavirus. On avait en ce moment conseillé au gouvernement de prendre une couverture sur une année ou deux, chose qu’il n’a pas faite et voilà que nous subissons de plein fouet la flambée du prix du pétrole.
Je n’ai pas trop l’impression que ceux qui nous gouvernement ont la capacité d’anticiper. Une capacité qui est indispensable pour gérer un pays.
Vous évoquez la nécessité de mettre en place la stratégie adéquate pour atténuer les effets de cette guerre sur l’économie nationale. En quoi consisterait, selon vous cette stratégie ?
Ezzeddine Saidane: Cette stratégie devrait répondre aux questions suivantes : Comment financer nos besoins sachant que le pays traverse déjà une crise financière aiguë qui va certainement être aggravée par cette guerre ? Quelles vont être nos priorités? Parce que si nous allons trouver des difficultés à financer nos importations, il va falloir prioriser. Comment réorienter notre commerce extérieur aussi bien sur le plan des importations que sur celui des exportations?
Avec TAP