L’affaire Kilani pourrait s’interpréter à l’étranger comme une tentative du président de la République, Kaïs Saïed, d’instrumentaliser la justice pour « liquider » ses adversaires politiques. Analyse.
Le président de la République, Kaïs Saïed se passerait bien de la patate chaude que le Tribunal militaire de Tunis lui refile. Et ce, en émettant, mercredi 2 mars 2022, un mandat de dépôt contre le bâtonnier et ancien ministre, Abderrazek Kilani, pour des accusations… balivernes. Du coup, une affaire somme toute banale, se transforme en procès politique. Ecornant davantage l’image piteuse de notre système judiciaire à l’étranger.
Le véritable enjeu
Car il faut bien se rendre compte que ce qu’on appelle désormais l’affaire Kilani s’inscrit dans le cadre de la lutte acharnée des islamistes d’Ennahdha pour la mainmise sur l’Ordre des avocats représenté par le bâtonnier Brahim Bouderbela. Lequel, en s’alignant ostentatoirement sur les positions de l’homme du 25-Juillet, est désormais l’homme à abattre. Sachant qu’aux yeux des islamistes, l’Ordre des avocats est le dernier bastion à conquérir; après avoir perdu celui du Conseil supérieur de la magistrature.
La preuve? La horde d’avocats appartenant à Ennahdha et al-Karama, que conduisent le sulfureux Seifeddine Makhlouf et l’infréquentable Anouar Ouled Ali. Laquelle forçait, hier jeudi, le bureau du Conseil de l’Ordre des avocats au Palais de Justice. Et ce, afin d’abreuver le Bâtonnier Brahim Bouderbala d’injures. Sous prétexte que ce dernier n’apportait pas le soutien nécessaire à son collègue, l’ex-Bâtonnier Abderrazak Kilani. Et ce, suite à l’émission d’un mandat de dépôt à son encontre par le Tribunal militaire de Tunis.
Mesure disproportionnée?
Mais revenons à l’affaire Kilani. De quoi l’ancien membre du gouvernement Hamadi Jebali, et réputé proche d’Ennahdha, est-il coupable?
D’avoir « participé à un groupe qui trouble l’ordre public dans l’intention de s’opposer à l’application de la loi ou pour porter atteinte à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. En proférant des menaces verbales et en usant de menaces et de bobards pour empêcher un individu ou un groupe de travailler ». Tel est l’acte d’accusation prononcé par le juge d’instruction près du Tribunal militaire permanent de Tunis. Mais rembobinons les faits.
L’ancien Bâtonnier, membre du comité de défense de l’ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, fut empêché par les forces de l’ordre de rendre visite à son client. Lequel a été transféré à l’hôpital Habib Bougatfa, du gouvernorat de Bizerte.
Selon le procès-verbal établi par la police et adressé au procureur de la République près le Tribunal militaire de Tunis, dont nos confrères de Business news se sont procuré une copie, Abderrazek Kilani, hors de lui, aurait lancé au visage des sécuritaires: « Vous vous exposez au danger ainsi que votre avenir et vos familles. Monsieur Charfeddine vous défendra-t-il, lui qui, malheureusement, ne comprend rien à la loi? Et Kaïs Saïed vous défendra-t-il? Il n’y a que la loi qui puisse vous défendre ».
Et de poursuivre: « Regardez vos chefs, aujourd’hui ils font pitié. Vos chefs sont déférés devant des chambres spécialisées avec leurs familles, leurs enfants et leurs réputations. Pourquoi vous vous exposez ainsi aux poursuites? »
« Nous avons fait la meilleure constitution du monde et (Kaïs Saïed, NDLR) en a fait un torchon. Elle stipule que la police est républicaine, que l’armée est républicaine et que la police doit être à égale distance de tout le monde… Selon la loi, vous ne pouvez pas empêcher un citoyen d’entrer à l’hôpital. Sauf si c’est le directeur de l’hôpital qui le demande ». Des propos qui ont valu à l’intéressé de passer une nuit en geôle.
Un procès-piège?
Certes, ces propos inappropriés sont à la limite du supportable. D’autant qu’ils étaient proférés par un ancien ministre, ex-Bâtonnier et ambassadeur à l’encontre de sécuritaires dans l’exercice de leur fonction. Alors son statut lui confère-t-il ce passe-droit?
Le hic, c’est qu’émettre un mandat de dépôt à son encontre, c’est transformer ce procès en affaire politique. Et prêter ainsi le flanc aux islamistes qui accusent la justice, notamment militaire, d’être à la botte du président de la République.