Dans une semaine intense en actualité internationale, le chiffre de 963 000 familles à revenu faible et nécessiteuses semble peut choquer. C’est une statistique alarmante dans un contexte politique flou et des tensions géopolitiques qui ne cessent d’affaiblir notre positionnement régional.
Pour ces ménages, qui représentent plus du quart de la population, le quotidien est un combat. Avec des prix qui ne cessent de grimper, leur nombre est susceptible d’augmenter. La hausse des coûts d’importation des matières de première nécessité et du pétrole va directement impacter l’inflation. Ces foyers, qui survivent grâce à ces matières subventionnées, ne parviennent plus à trouver de la semoule ou de la farine pour s’offrir un déjeuner. Si les prix de vente de ces matières sont touchés, le sandwich tunisien classique, qu’on peut acheter actuellement à moins de trois dinars, risque de devenir inaccessible.
C’est à ces familles qu’il faudra penser lorsque le gouvernement compte réviser ses programmes de subventions. Certes, augmenter certains prix est inéluctable. Il faut être cohérent. La Tunisie ne peut pas se permettre un déficit budgétaire à deux chiffres. La hausse des prix des carburants devra s’accélérer, alors que ceux des autres matières seraient, à notre avis, épargnés tant que cela reste possible.
L’inefficacité du système de compensation
En pratique, comment optimiser le volume important de compensation, qui dépasse les 7,2 milliards de dinars, pour qu’il soit orienté vers ceux qui en ont vraiment besoin ?
Opter pour un système de cartes électroniques attribuées à ces ménages n’est pas le bon choix car il va créer des problèmes sociaux de taille. Cela risque de se transformer en une étiquette de pauvreté. Il ne manque que cela à notre société qui souffre déjà de plusieurs segmentations de tout type.
Verser la compensation sous forme de mandats pose un autre problème. La base de calcul est la consommation, par individu, au sein du ménage. Or, ce n’est pas tout. Il faut penser aux coûts du transport et de la consommation en dehors de la maison qui vont s’enflammer. Non seulement cela risque de renvoyer une grande partie de cette population dans la pauvreté extrême, mais des secteurs d’activité entiers seront sacrifiés.
Baisser les prix ne passe pas seulement par des lois
L’équation est vraiment difficile à résoudre. Maîtriser les prix n’est pas aussi simple que certains le pensent. Nous avons écouté cette semaine le Président de la République annoncer son intention de mettre en place un cadre réglementaire pour lutter contre la hausse des prix. En d’autres termes, ils seront encadrés comme c’était le cas quelques mois auparavant pour des produits d’hygiène.
C’est une solution, mais elle ne pourra pas fonctionner durablement. Si on va fixer les marges, cela ne signifie pas la maîtrise des prix. Si les matières premières montent, c’est que le coût le sera aussi, et si on se dirige vers la fixation des prix de vente, c’est une autre affaire qui va finir par la clôture de toute une série de business.
Le contrôle des circuits de distribution n’est pas aussi évident. Il est vrai que des spéculateurs s’invitent mais ils jouent un rôle important. Les petits agriculteurs n’ont pas les moyens pour faire parvenir leurs productions aux marchés. Ces spéculateurs, en l’absence de coopératives des services, assurent ce rôle en achetant la marchandise à faible prix auprès de ces pauvres producteurs et en ajoutant une autre marge auprès du grossiste.
Réformes
La solution rationnelle à tout cela ne peut être qu’à long terme. La première chose est d’exploiter tout notre potentiel agricole. Nous souffrons du phénomène des petites parcelles de terrain. Il faut aujourd’hui trouver le moyen pour encourager les grandes exploitations qui permettent l’intégration de la technologie dans la production et l’augmentation de la productivité.
Il faut penser à mettre en place une chaîne de valeur qui commence du producteur et se termine dans le marché de gros. C’est le rôle de l’Etat qui peut ainsi canaliser toute la production dans des circuits contrôlés. Sur cette base, il peut définir ses priorités et orienter les producteurs vers les matières les plus demandées. L’approvisionnement en semences et en fertilisants doit être disponible. Si l’Etat veut subventionner, c’est là qu’il devrait mettre son argent.
Entre-temps, une politique de transferts sociaux intense est inévitable pour les prochaines années. Il faut accompagner ces réformes par un parapluie social plus important. Les institutions financières internationales, comme la Banque mondiale, appuient ce genre de programme.
L’encadrement social des jeunes doit être assuré, et des programmes de formation, d’intégration et d’aide à l’entrepreneuriat sont une nécessité. Le rôle de la société civile est fondamental car l’Etat ne peut pas et n’a pas les moyens pour le faire.