Les nouveaux membres du Conseil supérieur provisoire de la magistrature prêtaient serment lundi 7 mars devant le président de la République. 21 membres (11 hommes et 10 femmes) forment ce Conseil que préside M. Moncef Kchaou, premier président de la Cour de cassation. A travers le serment qu’ils ont prêté, les 21 membres ont pris l’engagement de promouvoir une justice indépendante.
Vaste programme et lourde responsabilité dans un pays qui ne sait plus où donner de la tête. De quelque côté que l’on se tourne, il y a des chantiers à gérer et des problèmes à régler. La crise frappe de plein fouet les secteurs les plus vitaux du pays: économie, éducation, santé, justice et la liste est longue.
Mais de tous les problèmes à régler, le plus important et le plus urgent est celui de la Justice. Car, sans le règlement de cette question d’indépendance, aucun autre problème ne sera réglé définitivement. Si, depuis 2011, nous avions une Justice indépendante, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Tous les maux accumulés durant la décennie noire ont pour cause principale l’incapacité de la Justice de résister à l’emprise du pouvoir exécutif, dominé par Ennahdha jusqu’au 25 juillet 2021.
« Justice de Bhiri »
Cette emprise était telle que le citoyen moyen parlait de « Justice de Bhiri ». Cette emprise était telle que des mois après le 25 juillet, et malgré les exhortations quasi-quotidiennes de Kaïs Saïed des juges à s’affranchir, « la Justice de Bhiri » était toujours à l’œuvre. D’où la décision, un peu trop tardive tout de même, de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature. Et de le remplacer par un Conseil provisoire que l’on espère voir réellement indépendant.
Il faut dire que depuis l’indépendance jusqu’au 25 juillet 2021, jamais le pouvoir exécutif n’a posé la question de l’indépendance de la Justice; et encore moins encouragé le pouvoir judiciaire à s’affranchir. Bien au contraire, que ce soit sous Bourguiba, Ben Ali ou la nébuleuse islamiste, le premier souci du pouvoir exécutif était de s’assurer la loyauté du corps judiciaire. Et ce, à travers la technique classique de la carotte et du bâton.
Ainsi, le citoyen moyen n’arrive pas à comprendre pourquoi des membres de l’ancien Conseil se sont obstinés à poursuivre leur « acoquinage » avec la politique. Malgré les exhortations incessantes du président et son désir de les voir autonomes et indépendants. C’est ce qui explique le large soutien populaire à la décision présidentielle de dissoudre l’ancien Conseil et à le remplacer par un Conseil provisoire. C’est ce qui explique l’absence totale de soutien populaire au Conseil dissout. Hormis les quelques protestations provenant de ceux qui en étaient les bénéficiaires.
« Les appréhensions n’ont plus de place »
Le président se dit en guerre contre « les corrompus, les affameurs du peuple et les destructeurs de l’État ». Il en appelle aux membres du nouveau Conseil d’assumer leur responsabilité. Les dossiers et les affaires de corruption et de terrorisme se comptent par milliers. L’opinion publique, après des années de déception et de frustration, prêtera sans aucun doute, une attention particulière au comportement de la justice et à l’attitude des juges après l’installation du nouveau Conseil.
Les citoyens de ce pays ne demandent pas la lune à leur Justice. Ils attendent qu’elle les protège, en cette période de pénurie généralisée, contre ce que le président appelle à juste titre « les affameurs du peuple ». Ils attendent qu’elle ouvre les grands dossiers en relation avec le terrorisme et la grande corruption. Mais aussi qu’elle s’affirme comme une institution indépendante, appliquant la loi et protégeant l’État contre ceux qui rêvent toujours de le détruire…
Avec un nouveau Conseil supérieur de la magistrature en place, avec un pouvoir exécutif qui appelle haut et fort à l’indépendance de la Justice, les hésitations, les appréhensions et les inquiétudes que ressentaient les juges dans l’exercice de leur fonction n’ont plus de raison d’être.
Cependant, la vigilance de l’opinion et le dynamisme du tissu associatif sont indispensables en cette difficile période transitoire. Car, on ne se méfiera jamais assez de la propension du pouvoir exécutif à la domination. Ainsi que du risque de voir le corps judiciaire succomber à l’attrait des avantages miroités par des acteurs puissants.