Pourquoi Noureddine Bhiri et Fathi Beldi ont-ils été assignés à résidence? Mais surtout, pourquoi ont-ils été libérés? Récit d’une étrange affaire à la lumière d’explications embarrassées fournies par le ministre de l’Intérieur. Mais personne n’est dupe…
Encore une affaire enveloppée par un épais brouillard. En effet, pourquoi l’ancien ministre de la Justice et vice-président du Mouvement Ennahdha, Noureddine Bhiri, et l’ancien cadre du ministère de l’Intérieur, Fathi Beldi ont-ils été assignée à résidence depuis le 31 décembre 2021, soit 69 jours? Et surtout pour quels motifs ont-ils été libérés dans la nuit du lundi 7 mars en cours?
En l’absence de porte-parole aussi bien à la Kasbah qu’au palais de Carthage pour éclairer nos lanternes, les observateurs de la vie politiques en Tunisie en sont ainsi réduits aux suppositions et aux interprétations. Et ce, faute d’informations officielles. De la politique d’omerta pratiquée au sommet de l’Etat? Mais qu’y a-t-il à cacher?
Un étrange communiqué
Or, ce n’est pas le communiqué publié tard dans la nuit de lundi à mardi 8 mars par le ministère de l’Intérieur qui lève le voile sur ce qu’on appelle désormais l’affaire Bhiri. Jugez-en vous-même.
D’abord, s’amusant à jouer aux devinettes, le dit communiqué nous parle de « deux individus » dont l’assignation à résidence est motivée par des « menaces à la sécurité nationale ».
Que reproche-t-on au juste à ces « deux individus »? « Des soupçons d’implication dans une atteinte grave à la sécurité publique. Notamment sur « la fabrication et remise de faux papiers d’identité et certificats de nationalité au profit entre autres d’une Syrienne ». C’est ce que révélait le ministre de l’Intérieur, Taoufik Chareddine, le 3 janvier dernier.
Alors, s’agit-il de simples « soupçons » sans fondement? Le dossier était-il vide? Et dans ce cas, l’assignation à résidence de Bhiri et Beldi était illégitime et peut être assimilée ipso facto à une séquestration passible de poursuites pénales. M. Charfeddine, un juriste de formation est averti!
Ensuite, la même source nous informe que « suite à la mise en place du Conseil Supérieur de la Magistrature provisoire en date d’aujourd’hui 07 mars 2022, il a été décidé à cette même date de mettre fin à l’effet des deux décisions d’assignation à résidence prises à l’encontre des deux personnes concernées. Jusqu’à ce que la justice prenne les mesures judicaires nécessaires à leur égard ».
Simple coïncidence entre la décision de la levée de l’assignation à résidence et la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature provisoire? Difficile à croire.
Donc, en lisant entre les lignes, on s’aperçoit que la libération « des deux personnes concernées » est concomitante avec la mise en place du Conseil Supérieur de la Magistrature provisoire. Mais quel rapport? Se pourrait-il que le CSM qui venait juste de prêter serment devant le président de la République soit à l’origine de cette décision? En outre, est-il dans ces attributions de fourrer son nez dans une affaire judiciaire en cours?
L’état de santé de Bhiri, info ou intox?
Enfin, le communiqué émanant du département de l’Intérieur tenait à préciser que Bhiri et Beldi avaient eu droit aux visites et aux soins médicaux requis. Et qu’ils sont « en très bonne santé, d’après les derniers rapports médicaux ». Info ou intox?
Car, lors d’un point de presse tenu le 5 janvier 2022 à la Maison de l’Avocat à Tunis, par les membres du comité de défense de Noureddine Bhiri, Samir Dilou affirmait que le numéro 2 d’Ennahdha « se trouve entre la vie et la mort ». Pour sa part, son épouse, Saïda Akremi, alarmiste à souhait, émettait l’espoir « que son mari soit encore en vie ».
En outre, avant-hier, Mondher Lounissi, médecin traitant de l’ancien ministre d’Ennahda, alertait l’opinion publique. En effet, il faisait savoir que la vie de son patient est en danger. Et ce, suite à la détérioration spectaculaire et rapide de son état de santé.
D’ailleurs, il faut le reconnaitre, les premières vidéos de Noureddine Bhiri à sa sortie de l’hôpital Habib Bougatfa à Bizerte montraient un homme très amaigri par une grève de la faim sauvage. Il aurait perdu 25 à 30 kilos. Bref, un revenant d’outre-tombe.
Il est par conséquent difficile de croire la thèse du ministère de l’Intérieur selon laquelle il est « en très bonne santé ». Cela prête à sourire même si le contexte ne s’y prête guère!
Patate chaude
Disons pour conclure que le locataire du palais de Carthage ne pouvait pas courir le risque du décès d’un opposant politique. Et ce, suite à une mise en résidence abusive. Elle serait synonyme d’éventuels troubles dans le camp islamiste et de graves protestations à l’échelle internationale. Alors même que la Tunisie frappe aux portes du FMI. D’où son désir de se débarrasser au plus vite de cette patate chaude.