Suite à la guerre déclenchée par la Russie, l’Europe est traversée par un vaste élan de solidarité en faveur des exilés ukrainiens. Selon l’ONU, plus de deux millions de personnes ont fui le pays. Le nombre de personnes fuyant la guerre pourrait rapidement atteindre de 4 à 5 millions, selon Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères. Les pays européens débloquent des fonds pour leur accueil. Tant mieux : il est toujours bon d’assister à des signes tangibles de solidarité.
Toutefois, si l’accueil des victimes civiles de l’agression russe est exemplaire, cette générosité soudaine interroge au regard du contraste avec la traditionnelle hystérie politico-médiatique qui accompagne toute arrivée de réfugiés.
Un tel contraste jette une lumière crue sur la déshumanisation teintée d’un racisme à peine voilé subie par « les autres » réfugiés qui fuient des conflits armés en Afrique ou encore au Moyen-Orient.
Le décalage entre le discours universaliste et la sélection des réfugiés
Certes, la Convention de Genève sur le statut des réfugiés prohibe explicitement toute discrimination « quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Pourtant, l’on assiste bel et bien à une application discriminatoire d’un droit d’asile censé protéger toute personne « craignant avec raison d’être persécutée » et dont « la vie ou la liberté serait menacée ».
Une violation de l’universalité du droit d’asile qui ne semble pas affecter outre mesure les traditionnels porte-paroles de l’« universalisme », dont l’indignation sélective révèle un universalisme ethnocentré, déjà constaté par ailleurs.
Les réfugiés afghans, syriens et africains continuent de subir une politique implacable en errant en Europe faute de dispositif d’accueil digne de ce nom, subissant un harcèlement quotidien de la part de forces de l’ordre qui n’hésitent pas à lacérer des tentes en plein hiver et à faire obstacle à la distribution de nourriture…
L’on assiste bel et bien à une application discriminatoire d’un droit d’asile censé protéger toute personne « craignant avec raison d’être persécutée… »
Tout le monde l’a bien compris. Le discours d’ouverture à l’égard des Ukrainiens est motivé par un sentiment de ressemblance, de proximité ethno-culturelle. Une politique d’asile basée sur une « préférence européenne » en somme, à l’image de la proposition emblématique de l’extrême droite française, la fameuse « préférence nationale »…
Un narratif pleinement assumé par la parole/pratique décomplexée de responsables politiques (nationaux et locaux/d’extrême droite, de droite et de gauche) et autres éditorialistes légitimant une distinction entre les bons et les mauvais réfugiés, ceux qui méritent d’être accueillis/aidés et les autres, les nouveaux damnés de la terre.
Révélateur d’une forme d’hypocrisie, ce tri ne fait qu’exprimer un fantasme, celui d’une Europe « blanche d’essence judéo-chrétienne », dont le pendant n’est autre que le fantasme d’un « grand remplacement », celui qui anime la politique de rejet appliquée aux autres exilés.
L’Histoire retiendra ainsi que les Africains fuyant l’Ukraine envahie par l’armée russe étaient débarqués des trains et des bus, ou refoulés aux frontières de l’Union européenne. Persona non grata, tel est leur statut symbolique.
Un tri symbolique de discriminations générales
Érigé en discours officiel, l’universalisme républicain renvoie à l’idée aussi simple que puissante d’une unité du genre humain. Une idée héritée des Lumières qui garantit théoriquement l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Un principe juridique et une philosophie politique battus en brèche par la réalité massive et systémique des discriminations à l’embauche, au logement, au contrôle policier ou même à l’école… Un phénomène étouffé par le déni collectif.
Tout « privilège blanc » et autre « racisme institutionnel » sont officiellement impensables, inconcevables. Soit, mais alors, comment qualifier les ressorts de la mobilisation générale autour de l’accueil des réfugiés ukrainiens et la rupture que celle-ci représente avec le traditionnel traitement politico-médiatique de tout phénomène migratoire ?
Trop rares sont ceux qui sont à la hauteur de la philosophie universaliste en tendant la main sans distinction, dans un geste d’humanité vraie.
Un hommage doit être rendu ici aux associations d’aide aux migrants pour lesquelles la solidarité n’est pas une question de couleur de peau ou de religion.