La campagne de « descentes » et de perquisitions lancée par le président de la République contre les entrepôts clandestins semble donner quelques résultats. On ne peut que soutenir de telles campagnes contre les barons de la contrebande et les responsables du dysfonctionnement des réseaux de distribution tendant à créer une rareté artificielle. Une rareté de nature à accroître les difficultés du consommateur et à nourrir la tension sociale et le bouillonnement populaire.
Le président a sans doute raison de parler de complot, même si l’usage excessif de ce mot dans pratiquement chaque discours, tend à le banaliser, pour ne pas dire le décrédibiliser. Car, il est clair que tous ceux qui ont perdu pouvoir et privilèges le 25 juillet ne sont pas restés les bras croisés. Dans leurs tentatives désespérées de récupérer ce qu’ils ont perdu, ils ne reculent devant rien pour nourrir la colère du consommateur et le mécontentement du citoyen.
Jeu politique abject
Dans le jeu politique abject auquel on nous a habitués, tous les coups sont permis. Y compris la tentative incongrue de nous faire oublier la politique de destruction massive et généralisée de toute une décennie pour faire assumer toutes les conséquences à Kais Saied.
Quoi de plus abject en effet que de voir Rached Ghannouchi verser les larmes de crocodile sur le calvaire du consommateur, pointer du doigt la pénurie, dénoncer la hausse vertigineuse des prix et accuser les détenteurs actuels du pouvoir de tous les maux qui nous affectent.
« Quoi de plus abject en effet que de voir Rached Ghannouchi verser les larmes de crocodile sur le calvaire du consommateur, pointer du doigt la pénurie… »
Le gourou a sans doute oublié le temps où il détenait tous les pouvoirs. Il a oublié sa réponse arrogante au mécontentement populaire : « Remerciez Dieu, car quand vous ouvrez le robinet, vous avez l’eau, et quand vous appuyez sur l’interrupteur, vous avez l’électricité. »
Cela dit, la campagne engagée contre le détournement des produits de première nécessité et leur entassement dans des dépôts clandestins ne devrait pas engendrer des abus caractérisés, endommageant les intérêts et la réputation d’institutions économiques respectables et respectées pour leur rôle majeur dans l’économie du pays, à l’instar du groupe « Couscous Diari et Spiga ».
Imagination puissante, malveillante
Car, l’opération lancée le jeudi 10 mars par les forces de l’ordre contre un dépôt de cette société est tout simplement inacceptable. Dans le dépôt en question, il y avait une quantité de produits alimentaires impropres à la consommation pour non-conformité aux normes mondiales de certification. Par souci de protection du consommateur et de sa réputation auprès de ses clients nationaux et internationaux, la société procède, quand besoin est, à la destruction de ses produits ayant dépassés la date limite de consommation.
Le plus grave est l’entrée en scène des réseaux sociaux. Ceux-ci, ignorant de quoi il s’agit et n’ayant aucune idée des tenants et aboutissants de l’affaire, s’en sont pris avec âcreté et animosité aux responsables de la société.
Selon les facebookers et autres instagrammeurs, nous ne sommes plus en présence de dirigeants d’un groupe industriel qui exporte entre 50 et 60% de sa production, mais de vulgaires spéculateurs qui « achètent des pâtes subventionnées, les transforment en nourriture pour animaux en vue de la vendre à un prix non subventionné »… On reste pantois face à la puissance de l’imagination malveillante de certains usagers des réseaux sociaux.
Temps incertains, temps dangereux
Mais à quelque chose, malheur est bon. Cette bourde des forces de l’ordre contre « Couscous Diari et Spiga » a provoqué un élan de solidarité des ouvriers et de leur syndicat de base avec la société et ses dirigeants. L’UGTT ne s’est pas contentée d’exprimer son soutien aux patrons du groupe alimentaire, mais, dans son communiqué publié le 11 mars, est allée jusqu’à exiger des excuses des forces de l’ordre.
Cela dit, on ne peut pas ne pas poser la question de savoir s’il est judicieux que le président de la république réserve tout son temps et son énergie à traquer en personne les contrebandiers, les trafiquants et les spéculateurs ? Est-ce son travail à lui de faire des descentes dans les entrepôts ? De faire des visites d’inspection impromptues à des boulangeries en ville et de s’enquérir auprès de leurs propriétaires de l’approvisionnement en farines ?
« […] on ne peut pas ne pas poser la question de savoir s’il est judicieux que le président de la république réserve tout son temps et son énergie à traquer en personne les contrebandiers, les trafiquants et les spéculateurs ? »
Tout ce que fais Kais Saied ne relève pas de la responsabilité du président de la république, mais de celle des fonctionnaires des ministères du Commerce et de l’Intérieur. Le président de la république, en ces temps de crise sans précédent, a des choses beaucoup plus importantes à faire que les visites nocturnes à des entrepôts clandestins. Beaucoup plus importantes que la consultation populaire électronique qui n’a pas tenu ses promesses.
Le rôle de président en ces temps extrêmement incertains et particulièrement dangereux, c’est de s’entourer des plus grandes compétences du pays dans le cadre d’un Conseil de crise. Un Conseil de crise permanent qui se pencherait sur les voies et moyens de sauver le pays. Un pays à vau-l’eau victime d’une double calamité : « la révolution » et la pandémie. Sans parler de ce que nous réserve la guerre russo-ukrainienne.