La consultation du peuple pour des questions relevant de l’intérêt national est, certes, une bonne méthode. Non pas pour trouver des réponses à ces questions, car ce n’est en aucun cas le rôle du peuple de le faire. Mais pour donner une impulsion et une force supplémentaire à la mise en œuvre des stratégies visant à mettre en application ces idées.
Ces consultations peuvent prendre plusieurs formes dont les plus modernes se font en ayant recours aux technologies les plus avancées, notamment l’internet. Mais jamais la consultation ne peut et ne doit être confondue avec le plébiscite. Et donc son échec ou sa réussite ne dépendent nullement du nombre de personnes consultées.
D’ailleurs que font, d’une façon indirecte les organismes de sondages d’opinions, sinon « consulter » d’une façon indirecte, en choisissant des segments de société ou des échantillons, en leurs posant des questions relatives à tel ou tel sujet? Les sondages sont devenus un outil incontournable, pour la bonne gouvernance. Non pas pour faire « jaillir » les idées des têtes des sondés; mais pour connaître les vraies tendances qui dominent ce qu’on appelle l’opinion publique. Ces méthodes ont été empruntées aux méthodes du marketing et de la publicité et appliquées aux affaires politiques.
Alors, il est quand même curieux qu’aucun homme ou femme de l’entourage du chef de l’Etat n’ait pris la peine d’expliquer l’abc de la communication à Monsieur le Président de la République.
Ainsi, dans une de ses déclarations solennelles, n’a-t-il pas affirmé que le référendum et la consultation c’est du pareil au même? Erreur monumentale! Un référendum est un outil politique et peut remplacer un vote, s’il est énoncé comme possible par la Constitution. Et une consultation ne peut en aucun cas donner de légitimité politique; soit-t-elle pratiquée par la majorité écrasante du peuple. Mais évidement ce n’est pas à un professeur de droit constitutionnel qu’on doit apprendre ce qui est élémentaire.
Un plébiscite inutile
Pourquoi chercher à être plébiscité quand on a gagné les élections avec plus de 70% des voix? Pourquoi recourir au plébiscite lorsque tous les sondages vous placent le premier très loin derrière la seconde possible candidate? Enfin, pourquoi le faire à travers l’outil médiatique le moins approprié, l’internet? Quand on sait qu’il n’est pas encore entré dans les usages des citoyens pour ce genre d’opérations politiques?
Le nombre de 300 000 participants à la consultation est à notre avis une prouesse. Evidement si l’objectif n’est pas le plébiscite ou la recherche d’une légitimité qu’on croit perdue! Or elle ne l’est pas.
Alors pourquoi le Président de la République, parle de « comploteurs qui veulent faire échec à cette consultation? » Tout laisse penser que du côté de ceux qui supervisent cette consultation, ils se sont trompés d’objectif.
Si c’est pour donner une légitimité à l’action politique du chef de l’Etat, qui accumule depuis le 25 juillet 2021, tous les pouvoirs, c’est que l’on doute encore que ce qu’il a fait est légitime. Et c’est le comble de l’amateurisme politique et un cadeau inespéré donné à ses adversaires.
Si c’est pour dire que « le peuple veut » un régime présidentiel, il aurait suffit d’un vrai sondage. Et l’on aurait mieux fait de confier l’opération à des professionnels, tunisiens ou étrangers; ce n’est pas ce qui manque. On aurait alors épargné au gouvernement, non seulement de précieux dinars; mais surtout beaucoup d’énergie, et moins de temps perdu qu’on aurait pu consacrer à des problèmes plus urgents à régler. Comme faire en sorte que les étalages de nos magasins soient remplis de sucre, de farine, de l’huile ou des œufs. Surtout à l’approche du mois saint, où l’appétit de nos compatriotes est décuplé. Le premier des droits des Tunisiens comme l’avait dit Jacques Chirac, n’est-t-il pas celui de manger et de boire à satiété?
Il est vrai que telle qu’elle est présentée par la propagande officielle, la dite consultation ne peut être qu’un échec et patent de surcroit! N’empêche que consulter 300 000 Tunisiens sur ces sujets divers pour juste connaître les tendances de l’opinion est en soi une réussite. Car tout dépend de la grille de lecture utilisée. En cela, nous doutons très fort que ceux qui l’ont supervisée, puissent en établir une bonne.
Aussi, nous suggérons que les résultats soient publiés pour que les chercheurs, sociologues, psychologues, historiens, statisticiens et mêmes les ethnologues puissent étudier le comportement du Tunisien; et surtout son évolution après la « révolution » du Jasmin. Cela risque de donner des conclusions surprenantes !
Consultation et le danger d’une lecture partisane
Il va sans dire, que toute consultation du peuple est toujours bénéfique. A condition qu’on respecte scrupuleusement les opinions exprimées. Il convient pour cela de publier intégralement les résultats tels quels?
Mais là où les choses deviennent plus sérieuses, c’est lorsqu’il s’agit de les interpréter. Car l’on sait toujours, qu’interpréter, c’est quelque part trahir (comme pour la traduction). Rappelons tout simplement, les interprétations, multiples et contradictoires, des livres saints, le Coran, les Evangiles et la Thora. Que dire d’une simple consultation, faite par de simples humains?
On peut donc déjà parier que certains ont déjà interprété les réponses avant que ces dernières aient été exprimées. Le Président de la République et ses partisans vont certainement préparer et donner les leurs. Mais que l’on ne nous dise pas que c’est la bonne. Car une telle attitude jetterait le doute sur les objectifs de cette consultation dont les initiateurs nous ont rabâché la tête avec leur « Le peuple veut »! Laissons lui alors la liberté de « vouloir » et laissons libre court à toutes les interprétations, car une synthèse jaillira certainement.
Mais de grâce épargnez nous et aussi au pays le fait de prétendre que cette consultation établira le programme du gouvernement pour les années à venir. Car, ce programme a déjà été tracé par les experts du FMI et de la Banque Mondiale; du moins quant aux volets économique et social. Quant au volet politique, il a été esquissé par le G7, l’Union Européenne et les USA; malgré la résistance héroïque de Kaïs Saïed. De toute façon, quelle que soit « la volonté » du peuple, le pays ne peut sortir de ce que l’histoire et la géographie lui ont tracé.
Il est certain que cette consultation, et quels que soient ses résultats, a jailli d’un esprit populiste.
Car en matière d’idées et depuis que l’homme a commencé à utiliser sa cervelle pour penser, les idées et les programmes sont exclusivement le fait des élites, devenues depuis de plus en plus spécialisées.
Sans Socrate et Platon il n’y aurait jamais eu de civilisation hellénistique. Sans El Farabi, Ibn Roshd, etc., il n’y aurait jamais eu de civilisation arabo-musulmane. De même, sans J.J. Rousseau, Montesquieu, Shakespeare, Tolstoï, Sartre, il n’y aurait jamais eu de pensée politique moderne. Et sans Tahar Haddad, Aboulkacem Chebbi, Habib Bourguiba, il n’y aurait jamais eu de Tunisie moderne.
Les peuples s’expriment à travers leurs élites et non à travers de pseudos intellectuels qui s’arrogent le droit de parler au nom du peuple. Le populisme est une maladie infantile des démocraties naissantes et constitue une fausse religion. Lequel d’ailleurs se consume rapidement sous l’effet de la dure réalité et la pression de la nécessité d’obtenir des résultats concrets. Et ce, que ce populisme soit de droite, de gauche ou même du centre. Alors il faut raison garder.