L’Ukraine sous un déluge de bombes russes, avec pour ultime dommage collatéral la fermeture de la route des céréales, mise à feu et à sang. Certaines parties du monde tremblent à l’idée de manquer de cette denrée vitale, la Tunisie en premier.
Les cours des céréales, des matières premières et des transports s’enflamment et s’embrasent. Pour un pays désargenté comme le nôtre, la facture sera si lourde qu’elle va élargir la fracture économique, sociale et régionale. Les dépenses supplémentaires, au titre de la Caisse générale de compensation (CGC), sont du même ordre que le budget alloué aux équipements collectifs et aux investissements d’avenir.
L’invasion russe de l’Ukraine, d’une violence cataclysmique, rallume chez nous les feux d’une guerre économique et commerciale qui n’en finit pas d’en finir. Tant il est vrai que nous avons, tout au long de notre histoire ancienne, engagé plusieurs guerres. Et perdu la plupart d’entre elles. Nous nous sommes repris sur la fin et nous avons triomphé du dernier occupant. Nous avions, dans la foulée, déclaré et gagné la guerre contre l’analphabétisme, le sous-développement et la misère.
En moins d’un demi-siècle, le pays a rejoint le groupe des émergents, avec la légitime prétention de monter plus haut en grade. Il avait l’avenir en face. Le tournant des années 2010 en a décidé autrement.
« Pour un pays désargenté comme le nôtre, la facture sera si lourde qu’elle va élargir la fracture économique, sociale et régionale »
Nous avons de nouveau été rattrapés par nos vieux démons. Et perdu à l’aube du 21ème siècle l’unique guerre qu’il fallait remporter pour consacrer notre émergence et notre insertion victorieuse dans l’économie-monde.
La déferlante islamiste a eu raison de nos percées industrielles, de nos avancées sociales, de notre idéal républicain et de nos ambitions planétaires. Rien de ce qui participe à la déconstruction de l’État, à la désintégration de l’économie ne nous a été épargné. Notre modèle économique, faussement accablé, est parti en vrille et notre modèle social en lambeaux.
La prospective n’avait plus droit de cité. L’instinct de butin et l’obsession du court terme ont été érigés en mode de gouvernance. L’économie informelle a étendu son emprise, au prix d’un démantèlement des structures de l’État. L’insécurité, l’instabilité, le chaos se répandent quand il y a besoin et nécessité de sérénité, d’apaisement, de visibilité, d’unité, de discipline et d’ordre républicains.
Pendant dix ans, les gouvernements, sous leur parapluie politique, se sont arrangés et repus dans leur zone de confort, en s’arrogeant droits exorbitants et privilèges de toutes sortes, au mépris des considérations, légales ou morales. La politique a perdu ce qu’elle a de plus noble. Elle a été envahie et contaminée par l’informel, en se coupant de ses références constitutionnelles.
« La déferlante islamiste a eu raison de nos percées industrielles, de nos avancées sociales, de notre idéal républicain et de nos ambitions planétaires »
Les enjeux économiques et financiers nationaux ont été négligés et sacrifiés à l’autel des combats politiques d’arrièregarde pour la conquête et la conservation du pouvoir qui n’en finissent pas d’attiser les convoitises. Le pays s’est retrouvé sans véritables moyens de défense pour assurer sa sécurité alimentaire et énergétique.
Au premier signe d’alerte, nous sommes pris aujourd’hui de panique, au motif que les prix, déjà élevés, vont exploser. Et que, au vu de la persistance de l’état de pénurie actuelle, nous allons manquer de l’essentiel, faute de capacité significative de production disponible, de financement et de stockage.
La guerre à retentissement mondial entre la Russie et l’Ukraine, avec son cortège de destructions, d’horreurs et de souffrances humaines, vient de nous rappeler de nouveau l’étendue de notre impéritie et le peu de cas que nous faisons de notre sécurité et de notre souveraineté.
Les 11 dernières années d’emballement chaotique ont affaibli et fragilisé le pays. Elles lui ont ôté d’énormes moyens de production et de protection et ont laissé derrière elles un immense désert industriel, agricole, énergétique, technologique, commercial et financier.
A un mois de Ramadan, on tremble à l’idée que les frustrations, la colère, voire la révolte, l’emportent sur la piété, le recueillement et la paix intérieure. Il est à craindre qu’on soit obligé de payer le prix exorbitant de l’échec de ceux qui s’érigent aujourd’hui en donneurs de leçons. Ils ont failli et trahi nos idéaux révolutionnaires de progrès, de justice, de dignité et de démocratie. Ils ont tout de même réussi l’exploit de démocratiser les inégalités sociales, les pénuries et la corruption. De toute évidence, il est des idéologies qui ne se conjuguent jamais au futur.