A heure du petit-déjeuner, les Tunisiens découvrent le discours prononcé par le président de la République, le dimanche 20 mars…. à minuit. Que retenir du discours présidentiel? Pas grande chose, hélas. Mais Kaïs Saïed avait-il autre chose à vendre au peuple en ces temps où les citoyens font la queue pour acheter une baguette de pain?
D’habitude et partout dans le monde, les dirigeants politiques choisissent une heure de grande écoute, au journal de 20h à titre d’exemple, pour s’adresser à leurs compatriotes. Sauf en Tunisie, où notre Président Kaïs Saïed a eu l’idée tout à fait étrange de présider la réunion du Conseil des ministres; avant de prononcer un discours au peuple d’environ une demi-heure. Lequel était ponctué de leçons d’Histoire et qu’il a qualifié lui-même de « révolutionnaire ». Soit.
La force des symboles
Sauf que, et c’est une première dans les annales de la République, le discours présidentiel soit prononcé lundi 21 mars 2022 à minuit + 1 minute. Alors que la commémoration de cette date historique du 20 mars devait se faire dimanche, le jour de repos du Seigneur, un jour chômé et férié. Ainsi, le président de la République a-t-il tenu à « zapper » délibérément la plus importante date de notre histoire contemporaine: l’indépendance de la Tunisie en 1956?
A signaler que Kaïs Saïed a signé des décrets-lois sur la même table où fut signé en 1881 le traité du Bardo, instituant le Protectorat français de la Tunisie.
Révisionnisme
Car, à l’instar de certains esprits malveillants, notamment les nostalgiques du youssfisme et les islamistes qui persistent à présumer que l’indépendance de la Tunisie est le résultat d’un « deal » avec la France colonialiste ; d’autres mettent carrément en doute existence même du document d’indépendance signé à l’époque par Tahar Ben Ammar. Notre Président a sa propre lecture de l’Histoire, même s’il avance masqué.
Ainsi, dans son discours où il évoquait à une seule reprise et sur le bout des lèvres le nom de l’immense Bourguiba, l’artisan de l’indépendance et le bâtisseur de la Tunisie moderne, Kaïs Saïed a daigné rendre hommage à « ce qu’ont fait nos prédécesseurs pour expulser le colonisateur et accéder à l’indépendance ».
Il a poursuivi en affirmant que personne ne pouvait remettre en cause les réalisations accomplies durant cette période; plus particulièrement sur le plan social et économique. « Mais le volet politique n’avait pas suivi cette évolution, a-t-il tenu à rappeler.
« La lutte contre la colonisation a commencé bien avant la signature des conventions du Bardo et de la Marsa », a-t-il souligné. Ajoutant que « la vraie indépendance effective ne se réduit plus à un simple texte de traité conclu ou à une festivité solennelle ». Et que, par conséquent, « l’indépendance ne peut être totale que lorsque le peuple exerce sa pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire indépendant ».
Etrange. Cela signifie-t-il que le chef de l’Etat adhère à la thèse « négationniste ». Thèse selon laquelle le peuple n’exerce pas de facto sa souveraineté sur l’ensemble du territoire et qu’il ne profite pas de ses richesses naturelles. Un clin d’œil aux thèses farfelues de Saifeddine Makhlouf sur le sel et le pétrole « spoliées par l’ancien colonisateur »? Risible.
Populisme quand tu nous tiens
Mais, au-delà d’un discours à la limite du populisme où il caresse ses partisans dans le sens du poil, que propose le Président de concret?
D’abord un décret-loi qui sera promulgué prochainement sur la réconciliation pénale. Il permettra de « restituer au peuple tunisien son argent spolié ». Et ce, par le mécanisme consistant à faire payer les plus corrompus en faveur des régions les plus déshéritées.
Ensuite, un deuxième décret-loi concernant la création « d’entreprises citoyennes ». Lesquelles permettront aux citoyens de lancer des projets. « Et la jeunesse deviendra ainsi une source de ressources, pour que tout le monde sorte de la pauvreté et de la misère ».
S’agit-il d’un come-back de la politique collectiviste des années 60 – 70 du siècle passé? De kolkhozes hérités de l’ère soviétique ? D’une sorte d’incarnation d’économie solidaire dont on parle beaucoup sans en connaitre les vrais contours?
Enfin, un décret concernant la lutte contre les spéculateurs « qui affament le peuple » et qui sont les principaux coupables des pénuries actuelles en denrées alimentaires. D’ailleurs, le Président leur promet des sanctions allant jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité.
Bref, en dépit d’un discours digne d’un joute oratoire, pas grand chose à se mettre sous la dent… au sens propre comme au figuré.