En parallèle à son combat acharné contre « la pieuvre islamiste », Abir Moussi porte désormais ses coups les plus virulents contre le président de la République, Kaïs Saïed. Au risque de se disperser et de brouiller son image dans sa course à la présidentielle de 2024 ?
Aux yeux de tout le monde, y compris à l’étranger, la présidente du parti Destourien Libre est l’icône de la lutte acharnée contre l’islam politique représenté en Tunisie par le mouvement d’Ennahdha et ses sbires d’Al Karama.
Mais pourquoi, diable, changer de fusil d’épaule? Alors qu’elle en fait de cette lutte contre la confrérie des Frères musulmans la bataille de sa vie. Et ce, en s’attaquant avec un certain excès au président de la République Kaïs Saïed. Quitte à brouiller son discours politique même auprès de ses partisans et se disperser, en vain ?
Se sent-elle donc en position de force pour mener ce combat titanesque? Et ce, à la fois contre ses adversaires d’Ennahdha et le locataire du palais de Carthage?
Ou est-elle grisée par les sondages qui s’accordent tous à la donner grand vainqueur des prochaines élections législatives?
Abir Moussi tutoie les sommets
En effet, selon le dernier sondage réalisé par Sigma Conseil sur les intentions de vote aux prochaines élections législatives et dont les résultats ont été publiés jeudi 24 mars 2022, le PDL de Abir Moussi caracole en tête des intentions de vote à 30.1%. Il est talonné par le mouvement « fictif » de Kaïs Saïed qui recueille 29.2%. A savoir que ce mouvement, dont l’existence est vivement contestée par le parti destourien, ne figure que sur le papier. Pourtant, il faut reconnaître que les personnes interrogées persistent depuis des lustres à « voter » pour un parti « attribué » à Kaïs Saïed. En attendant sûrement qu’il voie le jour. Encore une bizarrerie typiquement tunisienne!
A observer également que selon le même sondage, le mouvement Ennahdha traîne à la troisième position avec 10,4% d’intentions de vote; presque à 20 points du PDL. Le Mouvement Echaab et la Coalition Al Karama partagent ce qui reste des miettes, avec respectivement 3,3% et 2.5% des intentions de vote.
Paradoxe
Mais, paradoxalement, et alors que selon tous les sondages le parti destourien ferait main basse sur le futur Parlement, il n’en va pas de même pour la future élection présidentielle.
Ainsi, selon le baromètre politique réalisé par Emrhod Consulting pour le mois de mars 2022, 88.3% des personnes interrogées ont l’intention de voter pour Kaïs Saïed. Alors que seulement 4.6% optent pour Abir Moussi. L’écart est énorme. Alors comment expliquer cette énigme?
Cela veut-il dire que les électeurs voient très bien la cheffe du PDL, dont son parti serait en passe d’avoir une majorité franche au futur Parlement ou même au palais de la Kasbah; mais en aucun cas à Carthage? Ce n’est certainement pas son désir parce qu’elle vise toujours plus haut. Alors faut-il en conclure que le problème réside en sa personnalité trop « carrée » ou plutôt à son caractère non consensuel, parfois trop tranché?
D’autre part, comment ambitionner d’être la présidente de tous les Tunisiens quand on est une personnalité clivante ? Alors que justement, le rôle du Président est de rassurer sur un possible vivre ensemble?
Flèches empoisonnées
Il n’en demeure pas moins que le nouveau cheval de bataille de Mme Moussi est précisément le président de la République. En effet, elle l’accuse d’être « de mèche » avec Ennahdha et de jouer ainsi le jeu des islamistes.
« Le 25 juillet, les demandes de la rue étaient claires. Mais Kaïs Saïed a feint de vouloir y répondre. Il a ainsi créé un malaise et une énorme ambiguïté. Dans les faits, il n’a ni demandé des comptes aux islamistes sur les dix ans qu’ils ont passés au pouvoir; ni n’a ouvert les dossiers de la sûreté nationale et des assassinats politiques. Et il n’a pas non plus répondu aux demandes des Tunisiens ». Ainsi, s’exprimait-elle lors d’une interview accordée le 22 mars à l’hebdomadaire Jeune Afrique.
« Pire, on oublie les méfaits des islamistes dont il a fait, avec des arrestations mal menées comme celle de Noureddine Bhiri, des victimes aux yeux des organisations des droits de l’Homme. Il les laisse faire leur lobbying et permet à Rached Ghannouchi de demeurer un interlocuteur des ambassades étrangères, comme s’il était toujours président de l’assemblée », ajoutait-elle.
Et de conclure: « Le problème de Kaïs Saïed n’est pas le parti Ennahdha mais la personne de Rached Ghannouchi, tout simplement. Il donne aux islamistes le temps de se recycler et de revenir sous d’autres partis ou des mouvements indépendants. Leur réseau est toujours opérationnel et actif via notamment les associations. Kaïs Saïed leur donne l’opportunité de réaliser leur projet d’islam politique ».
Enfin, il n’est jamais trop tard pour corriger la trajectoire afin d’éviter justement d’aller droit dans le mur.