Rached Ghannouchi joue en ces temps de crise socio-économique explosive la politique de la terre brûlée. En décidant de convoquer une assemblée « pour débattre d’une alternative constitutionnelle mettant fin aux mesures d’exception prises par le Chef de l’Etat le 25 juillet 2021 ». Perfide.
Reconnaissons, quand même, une petite qualité à Rached Ghannouchi : celle d’avoir de la suite dans les idées. N’avait-il pas annoncé le 18 février 2022 lors d’un rassemblement de solidarité avec Noureddine Bhiri, à l’époque incarcéré, que « la reprise des travaux du Parlement tunisien est inéluctable, que cela plaise ou non » ?
Un pari fou qu’il y a un mois personne n’avait pris au sérieux. Venant en plus d’un dirigeant politique qui ne devrait pas être candidat à sa succession à la tête du mouvement Ennahdha. C’est du moins ce que vient d’annoncer, lundi 28 mars 2022, la page officielle du Mouvement Ennahdha. Laquelle, via un communiqué, révèle que le 11ème Congrès du parti se tiendra au mois d’octobre prochain. Et il y sera élu un nouveau président, à la place de Rached Ghannouchi.
Provocation
Ainsi, dans une ultime provocation au président de la République, Kaïs Saïed, lequel, rappelons-le, avait suspendu sine die en date du 25 juillet les travaux du Parlement et gelé ses activités, une réunion du bureau de l’ARP s’est tenue, lundi 28 mars 2022. En marge de cette réunion, il a été décidé de tenir deux séances plénières. La première, mercredi 30 mars « pour débattre d’une alternative constitutionnelle mettant fin aux mesures d’exception prises par le Chef de l’Etat le 25 juillet 2021 ». Et la seconde samedi 2 avril « pour se pencher sur la situation économique et financière du pays ».
Et ce n’est pas fini. Car, afin de justifier ce défi ouvert à l’autorité du président de la République, le Conseil de la Choura du Mouvement Ennahdha s’empressait d’accuser le président Kaïs Saïed d’être à l’origine de la dégradation de la situation économique et sociale dans le pays.
Ainsi, dans un communiqué publié lundi 28 mars 2022, le Président est tenu pour responsable de la « perturbation des institutions constitutionnelles, la détérioration du climat des affaires et des investissements ». De même que de « l’augmentation du nombre d’entreprises en faillite et de la hausse du chômage ».
Et de conclure: « L’insistance du pouvoir à poursuivre sa politique improvisée et unilatérale menace les fondements de l’Etat, ses institutions et ses lois. Et approfondit donc la crise économique et sociale ».
Rassemblement « dans un vaisseau spatial »
La réponse cinglante et méprisante de la part du chef de l’Etat ne s’est pas faite attendre. En effet, lors d’un entretien avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, il déclarait que « quiconque rêve de faire remonter le temps, se complaît décidément dans les chimères ». Et, enfonçant le clou, il a assuré que « quiconque cherche à se rassembler dans l’hémicycle n’a qu’à rejoindre un vaisseau spatial. Toute décision émanant de ce parlement est nulle et non avenue. Elle n’appartient ni à cet espace, ni à l’histoire et à la géographie ».
Alors que signifie ce nouveau bras de fer entre les deux hommes? Une tentative de passage en force contre l’ensemble du processus du 25 juillet? Un appel à l’insurrection notamment contre le gel du Parlement; avec à la clé le rabattage des cartes du système politique en entier?
Ghannouchi dos au mur
Relevons tout de même à ce propos que Rached Ghannouchi, 81 ans, est généralement un homme trop prudent pour entreprendre une « nouvelle carrière » de putschiste. A moins que la chute de son lieutenant et homme de main, Noureddine Bhiri et l’ouverture de graves dossiers l’impliquant, notamment dans les affaires d’assassinats politiques et de tasfir des jeunes vers les zones de tension, l’aient poussé à entreprendre ce coup de force.
Or, pour détourner l’attention, il n’hésiterait pas à lancer un écran de fumée. En profitant d’une situation économique et sociale plus qu’explosive, avec son lot de pénuries de produits de base. Et ce, pour déstabiliser son ennemi juré, Kaïs Saïed. Comme s’il n’était pour rien dans les terribles dégâts qu’il a infligés à notre pays lors de la décennie noire où il régna en maître.
Bref, dos au mur, Rached Ghanouchi cherche à sauver sa peau en passant à la contre-attaque. Il n’a plus le choix: ça passe ou ça casse!