Face au risque réel de chaos ou même de la guerre civile, le président de la République Kaïs Saïed n’a guère de choix. Soit il accepte une soi-disant légitimité parallèle synonyme de sa mort politique; soit il prend le taureau par les cornes et décrète la dissolution de l’ARP. Ainsi que l’arrestation des députés putschistes, Rached Ghannouchi en tête. Un dilemme cornélien.
Provocation, tentative de passage en force, appel à l’insurrection, coup d’Etat, politique de la terre brûlée… Tout a été dit sur la manière peu cavalière de Rached Ghannouchi qui osa jeter le gant au président de la République, Kaïs Saïed. Et ce, en présidant, lundi dernier, une réunion du bureau de l’ARP dont les activités sont gelées. Sachant qu’en marge de cette réunion, il a été décidé de tenir deux séances plénières. La première, ce mercredi 30 mars « pour débattre d’une alternative constitutionnelle mettant fin aux mesures d’exception prises par le Chef de l’Etat le 25 juillet 2021 ». Et la seconde samedi 2 avril « pour se pencher sur la situation économique et financière du pays ».
Taboubi et Moussi en première ligne
Premier à réagir à cet affront à l’autorité présidentielle, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi. Il s’empressa de conseiller au Président de dissoudre l’ARP et de convoquer dans la foulée des élections législatives anticipées.
« Nous ne comprenons pas ces atermoiements. Si le Président se soucie de rassurer les parties étrangères en se gardant de dissoudre le Parlement, cela doit se terminer ». Ainsi s’indignait le patron de la centrale syndicale. Et ce, lors de son intervention, hier mardi, sur les ondes de Mosaïque FM. Ajoutant que « ceux qui appellent à une autre légitimité devront se raviser. Naturellement, nous sommes contre la séance plénière à laquelle a appelé Rached Ghannouchi », concluait-il.
Notons dans ce contexte l’intervention de la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi. En effet, elle a appelé le président de la République à barrer la route à cette alternative. Et ce, en procédant à la dissolution définitive du Parlement. Tout en annonçant le dépôt d’une plainte urgente pour suspendre les travaux des deux séances plénières prévues pour les 30 mars et 2 avril 2022. Et ce, « afin d’éviter les conséquences dangereuses des décisions que la session contiendra sur la sécurité nationale et l’unité du pays et des institutions ».
« Les récentes déclarations du président de la République, lors de la réunion du Conseil national de sécurité, renforçaient la position de la Confrérie des Frères musulmans, étant donné qu’il n’a pas dissous le Parlement, laissant la possibilité à Rached Ghannouchi de réapparaître ». C’est ce qu’elle affirmait hier mardi dans une vidéo sur la page officielle du parti. La plainte a été rejetée par la Chambre des affaires urgentes au Tribunal de première instance de Tunis.
Dilemme
Mais que fait le locataire du palais de Carthage face à ce putsch qui approfondit davantage la crise politique, divise le pays, porte atteinte à la l’unité nationale? Et qui ouvre largement la porte à l’ingérence étrangère, qui pourrait le cas échéant aboutir au scénario cauchemardesque du partage de la légitimité, à l’instar de la Libye voisine?
La vérité c’est que le président de la République se trouve confronté à un vrai dilemme.
D’une part, il ne peut rester les bras croisés et accepter que son ennemi juré, Rached Ghannouchi, le défie ouvertement en organisant les deux plénières au risque de conduire la Tunisie vers le chaos, et même à la guerre civile.
D’autre part, en sa qualité d’ex-professeur du droit constitutionnel, il est lié justement par la Constitution de 2014. Laquelle stipule expressément qu’il n’est pas dans les prorogatives du pouvoir exécutif de dissoudre le Parlement. Alors, face à ce qu’il a qualifié de « putsch contre la Constitution » ira-t-il jusqu’à arrêter les députés « putschistes », Rached Gahnnouchi à leur tête? Quitte à s’attirer les foudres des chancelleries occidentales?
Kaïs Saïed va-t-il franchir le Rubicon?
S’adressant lundi aux membres du Conseil de sécurité nationale, le Président Saïed a tenu à préciser que ces députés « n’ont aucune légitimité ». Et que ce passage en force constitue « une menace contre la sécurité intérieure du pays. Car « porter atteinte à l’unité de l’Etat signifie compromettre la sécurité de la Tunisie et la sûreté de son peuple ». Ainsi avertissait, solennel, le chef de l’Etat.
Reste à savoir si c’est pour préparer ce scénario, l’arrestation des députés et leur chef, que Kaïs Saïed a convoqué, lundi, le Conseil de sécurité nationale. Et ce, en présence de principaux officiers militaires et sécuritaires; ainsi que des ministres de l’Intérieur et de la Défense. Mais en absence de la cheffe du gouvernement et de la ministre de la Justice. En quelque sorte un cabinet de guerre. Et ce, pour s’assurer de la loyauté de l’armée et des forces sécuritaires à son égard, avant de franchir le Rubicon?