En présidant le Conseil de la Sécurité Nationale, tard dans la nuit du 29 mars, le Président de la République a accusé Rached Ghannouchi et ses affidés de vouloir mener un coup d’État inconstitutionnel. Et ce, en convoquant une assemblée générale de la chambre des représentants. Sachant que les activités de cette institution en Tunisie ont été gelées par décret présidentiel.
Le chef de l’État ne fait ici que renvoyer la boule de feu à ses lanceurs. Car ses derniers accusent justement Kaïs Saïed de continuer à mener un coup d’État contre la Constitution et la légitimité parlementaire. Une simple guerre de rhétorique en Tunisie, dont on est habitué depuis dix ans. S’il n’y avait pas en jeu l’avenir même du pays. Et si le discours du président de la République ne s’était tenu devant les chefs des armées et des services de sécurité.
En effet, ce discours peut être assimilé, à un ordre de sévir contre les meneurs d’un complot dont le chef de file n’est rien de moins que Rached Ghannouchi. « En appliquant rigoureusement la loi », comme l’affirme le Président de la République. Reste à savoir, quel article de loi. Car cela peut aller jusqu’à leur envoi devant une Cour militaire pour « haute trahison ». Comme le stipule la loi, quand il s’agit d’une tentative de coup d’État.
Mais comme on a l’habitude d’entendre des menaces, parfois terrifiantes, de la part de KS, sans qu’elles soient suivies d’effets, l’on a tendance à considérer ces déclarations intempestives, visant souvent ses contradicteurs, comme un simple geste de colère verbale sans plus. Mais pas toujours!
Un complot en cache un autre
L’opposition à Kaïs Saïed, hormis celle dirigée par Abir Mousi, ne cache plus ses velléités, putschistes, depuis le début. La plus caricaturale est celle exprimée par Mohammed Abbou. Puisqu’après avoir appelé avant le 25 Juillet Kaïs Saïed à dissoudre le parlement et envoyer les militaires et les forces de sécurité contre ses ex-alliés, Ennahdha « and co »; il s’est retourné spectaculairement contre le Président de la République. Après avoir pourtant massivement soutenu le coup de force de ce dernier contre le parlement. Et sans crier gare, quelques semaines après, il retourne sa veste, contre lui. Non sans lancer des appels à l’armée, à désobéir et se rebeller, donc contre le chef des armées de la Tunisie. Ce qui est passible de peines lourdes et sans appel. Ce dernier curieusement semble ne pas avoir entendu ces propos insurrectionnels graves. Et Mohammed Abbou continue à vaquer à ses occupations quotidiennes, comme si de rien n’était.
Juste après, l’ancien Président de la République, Moncef Marzouki, surnommé tartour, « pantin », ce qu’il était, dans une vidéo ou l’hystérie le dispute à l’imbécillité annonce « au peuple » une nouvelle stupéfiante. Il déclare en effet que le sort de KS est scellé. Sans rire, on va le remplacer par quelqu’un qu’on a déjà choisi! Par qui?
Des appels aussi ubuesques les uns que les autres
Des semaines auparavant, il avait lui aussi lancé des appels à l’armée pour renverser KS! Aussi ubuesques que furent ces déclarations, elles méritaient une réaction officielle ferme. Mais cela était sans compter avec l’absence de professionnalisme de ceux qui dirigent la communication présidentielle et gouvernementale. Sachant que celui qui a proféré ces menaces était lui même un Président de la République et chef des forces armées de la Tunisie.
D’ailleurs, concomitamment à ces déclarations, il y en avaient d’autres plus sournoises et plus machiavéliques. Celles de Rached Ghannouhi par exemple qui prétend toujours être à la tête d’une assemblée nationale fantomatique. Il s’est même autorisé à la rendre virtuelle. Il avait promis à ses sujets (étant leur Calife) de rendre vie à un parlement mort et enterré. Faisant illusion à une idée que ses partisans propagent sur les réseaux sociaux. Laquelle veut que KS sera « bientôt » écarté du pouvoir! Par qui et comment? Silence et boule de gomme!
Mais la palme d’or des déclarations intempestives revient à Amor Shabou, professionnel des médias et sérieux analyste, et qui se veut aussi homme politique. Ainsi, il déclare, après un diagnostic de la situation économique, sociale et politique en Tunisie, très pertinent par ailleurs, que l’armée n’assistera pas sans bouger, face à la situation catastrophique (il est vrai) du pays.
Quelle mouche a piqué Amor Shabou, non pas pour dire ce qu’il pense de KS et il n’a pas tort, mais de commettre une telle erreur politique? A-t-il oublié que notre armée a toujours été légitimiste et loyale. A-t-il oublié que le parlement a été verrouillé par cette même armée qui n’a fait qu’obéir aux ordres? Nous avons tendance à croire qu’une hystérie générale s’empare de ce pays qui ne mérite pas ce gâchis.
L’ami américain à la rescousse ?
Il est clair que la visite de la sous secrétaire d’État américaine, annoncée pompeusement par le site de l’ambassade US, avec un ordre du jour précis qui touche aux affaires intérieures tunisiennes, a jeté de l’huile sur le feu. Dans une situation sociale et politique qui menace de s’embraser.
Les ennemis de KS ont vu dans cette visite une aubaine pour s’approprier les fruits des pressions qui ne manqueraient pas d’êtres faites sur le Président et son gouvernement.
Certains vont plus loin pour dire que si Rached Ghannouchi a osé faire ce qu’il a fait et tenter un acte insurrectionnel, c’est parce qu’il a eu « le feu vert américain »!
Cette lecture complotiste ignore la façon de procéder des Américains. Et Rached Ghannouchi n’a fait que saisir l’occasion de cette visite. Une visite en Tunisie programmée essentiellement pour presser les alliés des USA de se ranger de leur côté pour faire face à la crise ukrainienne.
Sachant que le Secrétaire d’État américain, lui même, est en visite à Alger et à Rabat pour la même raison. RG a donc choisi ce moment pour tenter un coup de force qui lui permettra de rebondir politiquement, sans plus. La réponse ferme et menaçante de KS, le contraindra à regagner son abri.
N’empêche que les pressions américaines sur KS continuent à s’exercer. Sauf qu’en lisant méticuleusement le communiqué du département d’État américain à propos de la visite de l’envoyée américaine, l’on se rend compte que ces derniers révisent leurs demandes à la baisse. En incluant le referendum annoncé par le Président. Tout en insistant sur le respect des droits de l’Homme, de la liberté de la presse; et d’éviter de faire juger les civils par les tribunaux militaires.
En rendant visite à l’ISIE, la secrétaire d’État, a aussi affirmé que le referendum et les élections doivent êtres transparentes et libres. Comme si l’on voulait pérenniser cette institution.
Le communiqué nous apprend également que la première des ministres a assuré l’envoyée de sa volonté de respecter les engagements tenus. Et ce, en matière de démocratie, de droits de l’Homme et de libertés fondamentales. Le contenu des contacts tenus en Tunisie avec les journalistes et les représentants de la société civile, reste ambiguë. Et l’ambassade n’a pas annoncé les noms des organismes et des personnes concernés, pour ne pas gêner ses interlocuteurs officiels.
Cependant, une chose est sure, ni Rached Ghannouchi, ni aucun des ses alliés n’ont été invités à ces réunions. Sinon, on le saurait et ces derniers n’auraient jamais raté l’occasion de le crier sur tous les toits.
Ennahdha sera-t-il de la partie?
En contre partie, KS semble lâcher du lest face aux demandes américaines et européennes. Lorsqu’il déclare après cette visite que la fameuse consultation n’est tout au plus qu’un outil pour soutenir l’organisation d’un débat avec des parties qu’il ne nomme toujours pas. Tout cela pour répondre à l’idée du débat « inclusif » annoncé plusieurs fois par les partenaires occidentaux.
Cette visite a quand même eu pour résultat de faire bouger les lignes. Et quoi qu’on dise, KS n’est pas aussi sourd, quand les voix qui s’adressent à lui viennent de l’extérieur, un extérieur qui pèse et qui compte.
Alors, les jours qui viennent vont nous renseigner davantage sur la vraie feuille de route qui s’établit. Sous la pression certes, mais qui semble s’éclaircir. La grande question est: Ennahdha sera-t-elle invitée pour ce débat?
Et déjà des voix s’élèvent du côté des partisans kaisiste pour l’exclure, du moins l’Ennahdha de Rached Ghannouchi. Mais nous pensons qu’elle sera incluse indirectement. Et ce, à travers des personnalités proches, ou à travers ses propres alliés. Car même si elle ne représente plus grand chose, la doctrine des occidentaux veut qu’elle soit « incluse ». Mais pas avant d’avoir payé le prix fort!