L’an 66 de l’Indépendance ! Un bien triste anniversaire. Onze années de bouillonnement post-révolution ont eu raison de nos principaux acquis économiques et avancées sociales.
En dix ans, le PIB a chuté en dinar constant de plus de 30%. Le revenu par habitant s’est détérioré davantage en raison du croît démographique. La part de l’industrie et de l’agriculture structurée diminue à mesure que progresse celle de l’économie informelle, aux origines troubles et aux issues incertaines. Le pays décroche. Il ne fait plus partie des émergents. Il va à la dérive et figure à peine dans les écrans radars des investisseurs étrangers.
Les pénuries, devenues un mal structurel, s’installent et s’incrustent durablement. Le coût de la vie autant que les salaires et charges sociales explosent. L’exigence de productivité liée à la propension au travail est perçue comme une atteinte aux libertés. La Constitution de 2014 glorifie le droit de grève et proscrit celui du travail. Elle fait l’effet d’une véritable arme de destruction massive de l’économie et de… l’emploi.
Pendant toute une décennie, la logique de transferts sociaux, de partage de la valeur ajoutée, plus virtuelle que réelle de butin, de spoliation, de dépeçage et de prédation du pays a pris le dessus sur l’impératif de production et de création de richesse. La politique d’offre a été délibérément et littéralement occultée, passée à la trappe par des politiciens qui se sont arrogé une rente pour la vie. La centrale ouvrière n’était pas en reste. L’État, qui a déserté la sphère publique, n’étant plus en capacité de lui résister.
« En dix ans, le PIB a chuté en dinar constant de plus de 30%. Le revenu par habitant s’est détérioré davantage en raison du croît démographique »
A force de s’acharner à vouloir redistribuer à tout prix ce que l’économie ne produit pas ou ne peut plus produire, nous avons fini par manger notre pain blanc sans autre perspective que le recours à l’endettement, au seul motif d’assouvir notre insatiable besoin de consommation.
L’endettement, au coût exorbitant, s’est substitué à l’effort de production. Au fil des ans, le poids du service de la dette a inhibé ce qui restait des maigres possibilités d’investissement. De la spirale de la dette à la descente au purgatoire, il n’a pas fallu beaucoup de temps pour un pays en mal d’investissement et menacé de désertification industrielle.
L’industrie en berne, l’agriculture en déshérence, l’infrastructure laissée à l’abandon, la dette insoutenable. D’un mot, un pays failli, classé par l’ensemble des agences de notation à haut risque. Le tableau est désespérant. La Tunisie n’inspire plus confiance et moins encore de respect.
Plus elle s’enfonce dans la crise, plus ses chances de redressement s’amenuisent. De quoi susciter les convoitises des fonds vautours et des charognards de tout genre, drapés sous les oripeaux de la géopolitique. On attendait en vain le retour de l’État. L’éclaircie du 25 juillet fut de très courte durée. Depuis, la situation économique et sociale a empiré, sans réel dégel politique.
Les missiles du chef de l’État font davantage de mal à l’économie et aux finances publiques qu’ils n’auront servi à neutraliser ses adversaires politiques les plus acharnés, passés maîtres dans l’art de la politique de la terre brûlée.
« A force de s’acharner à vouloir redistribuer à tout prix ce que l’économie ne produit pas ou ne peut plus produire, nous avons fini par manger notre pain blanc… »
Prise entre deux feux, tout en étant largement harcelée par la guérilla syndicale qui n’hésite pas à prendre en otage le pays, la population est déboussolée, ne sachant que faire ni vers où elle va, engloutie qu’elle est dans le marécage des pénuries et portée à incandescence par les feux ravageurs de l’inflation.
Les produits de première nécessité – les médicaments en premier – manquent à l’appel et ceux qui sont disponibles brûlent les doigts. L’incertitude pèse sur les salaires et pensions de retraite.
Les ingénieurs, les médecins, les universitaires, les experts – mais pas qu’eux – n’entrevoient plus leur avenir dans un pays qui n’a plus son destin en main. Ils prennent le chemin de l’exode, au grand dam de la collectivité nationale.
Il faut remonter aux pires moments de notre lointaine histoire pour retrouver cette avalanche de malédictions. Les pères de l’Indépendance et les pionniers de l’État doivent se retourner dans leur tombe, face à la déchéance d’un pays dévasté par les siens.
Les signaux d’alarme, les mises en garde d’ici et d’ailleurs n’auront servi à rien, sinon à signifier le dédain, l’inconsistance ou l’irresponsabilité de dirigeants coupables de non assistance à pays en danger.
Les deux récentes alertes d’une rare gravité, celles de Fitch Ratings, qui fait de nous le mouton noir des pays à haut risque, et de Morgan Stanley, qui évoque un probable défaut de paiement, n’ont pas mis la classe dirigeante en émoi ni préparé le pays à un véritable électrochoc pour sonner le réveil. L’heure n’est pas encore à la mobilisation générale, mais qui sait?
Les apparences sont souvent trompeuses et la réalité y est beaucoup plus complexe. On le saura à l’issue de la récente mission du FMI venue sonder les intentions des partenaires sociaux et jauger leur détermination réformatrice. Alors, accord ou pas avec le FMI pour se donner un peu plus d’air ? La balle est dans le camp de l’UGTT. L’heure de vérité a sonné pour tout le monde.