La proposition de l’administration Biden de réduire de près de moitié les aides financières et militaires américaines à la Tunisie est, selon les observateurs avertis, un simple coup de semonce. Avant de dégainer l’arme fatale: frapper au portefeuille, là où cela fait mal.
Il fallait s’y attendre. Entre l’événement politique majeur de la dissolution du Parlement, le feuilleton de la lutte à mort entre le président de la République et son ennemi juré, Rached Ghannouchi et les préoccupations quotidiennes du citoyen lambda, telles que les préparatifs pour le mois saint du Ramadan dans une ambiance morose marquée par la pénurie des matière de base et la recherche effrénée d’une simple baguette de pain. La décision américaine survenue au début du mois d’avril en cours de baisser de moitié l’aide militaire accordée à la Tunisie est venue nous rappeler tout simplement que la patience de Washington envers le processus démocratique en Tunisie depuis le 25 juillet a des limites. A nous et surtout au locataire du palais de Carthage de déchiffrer le message de l’administration Biden. Mais aussi d’en prendre acte et d’agir en conséquence; avant qu’il ne soit trop tard.
L’aide américaine partagée en deux
Ainsi, on aura appris que l’administration Biden avait proposé le 1er avril en cours de réduire de près de moitié les aides financières et militaires américaines à la Tunisie. Pour quel motif?
Le 31 mars, le Département d’Etat s’était déjà déclaré « profondément préoccupé » par la dissolution du Parlement tunisien. Ainsi que par la traduction des députés devant la justice. Le leadership tunisien continue sur la voie de l’autoritarisme ». C’est ce qu’expliquait le site américain Al-Monitor, spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient et basé à Washington.
Selon notre confrère américain, Jared Szuba, le budget annuel de Washington prévoit désormais 61 millions de dollars d’aide militaire et de sécurité à la Tunisie pour l’exercice de l’année prochaine. Contre 112 millions de dollars demandés pour cette année. Soit pratiquement la moitié de la somme.
Et ce n’est pas tout, puisque selon les projections pour l’année 2023, 3,2 milliards de dollars seront consacrés à « la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance » dans le monde. Or, ce budget prévoit de réduire l’aide économique du Département d’Etat à la Tunisie de 40 millions de dollars. Soit une réduction de moitié par rapport à la demande de cette année.
« Préoccupations » américaines
Ces réductions brutales de l’aide économique et sécuritaire des États-Unis sont justifiées par « les importantes préoccupations concernant le recul démocratique continu ». Ainsi avance le porte-parole du département d’État Ned Price. Toutefois, il affirme que « Les États-Unis souhaitent continuer de soutenir le peuple tunisien et encourager le retour à la gouvernance constitutionnelle ».
Et d’être plus explicite: le chef de l’Etat tunisien est en en train de « mener la démocratie tunisienne dans la mauvaise direction ». Des propos durs de la part du responsable américain qui tombent au pire moment pour le gouvernement Bouden. Alors que ce dernier est en pleines négociations avec les bailleurs de fonds, notamment le FMI.
Le message « diplomatique » de Ned Price s’ajoute en effet à la voix de deux influents députés. A savoir, le Républicain Michael McCaul et le Démocrate Gregory Meeks. Tous les deux sont membres de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants. Ainsi que les sénateurs Jim Risch et Bob Menendez, également membres de la Commission des affaires étrangères du Sénat. Lesquels viennent de publier une déclaration commune pour condamner ce qu’ils qualifient de « tentative du président Saïed de dissoudre le Parlement. Ce qui laisse présager une nouvelle détérioration de l’État de droit en Tunisie ».
Même attitude, mais plus nuancée, de la part de l’ancien ambassadeur américain Gordon Gray, en poste à Tunis entre 2009 – 2012. Puisqu’il préconise que « les Etats-Unis ne devraient pas couper totalement leurs aides à la Tunisie ». Cependant, « nous devons être clairs quant au fait que tout futur emprunt sera conditionné à la garantie d’un retour à l’ordre constitutionnel ».
Coup de sang
En effet, il y a lieu de s’interroger sur « la tiédeur » actuelle entre Washington et Tunis. Est-elle due à la « savonnade » que l’ambassadeur américain Donald Blome avait reçue à Carthage. Quand le président de la République Kaïs Saïed lui avait fait part en octobre dernier de son « mécontentement ». Et ce, à propos de la tenue d’une plénière virtuelle du Congrès américain sur l’état de la démocratie en Tunisie?
Sinon comment expliquer que le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, a superbement ignoré la Tunisie? Alors qu’il se trouvait à deux pas, en Algérie, dernière étape de sa tournée maghrébine. Enfin, s’agit-il de la part des Américains d’un premier avertissement? Avant de déclencher l’arme lourde des sanctions financières et de frapper là où cela fait mal.
Notre Président, altier à souhait, droit dans ses bottes, serait bien inspiré de prendre l’ultimatum américain de l’administration Biden au sérieux. Realpolitik oblige.