Le ministère des Affaires étrangères s’est empressé hier soir d’exprimer « son extrême étonnement » envers la déclaration faite par le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, au sujet de la Tunisie. Considérant cette déclaration comme « une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures ». Est-ce une réaction suffisante, eu égard à la provocation préméditée du maître d’Ankara?
Nous avions des doutes bien justifiés, désormais nous avons une certitude. A savoir que l’islam politique en Tunisie s’appuie sur deux béquilles: le Qatar, comme bras financier d’abord et médiatique à travers la sulfureuse chaîne Al-Jazeera; et la Turquie qui assume ouvertement son rôle douteux de parrain du salafisme pur et dur inspiré par les guides spirituels de la confrérie des Frères musulmans, à l’instar de Saied Kotb et Hassan el-Banna.
Ghannouchi persiste et signe
Et c’est en ayant « les épaules chaudes » par l’appui manifeste de Doha et d’Ankara que l’émir historique d’Ennahdha, Rached Ghannouchi s’autorise à narguer l’autorité de son pire ennemi, le président de la République Kaïs Saïed. Alors que le Parlement est désormais dissous par décret présidentiel n°2002-309 du 30 mars 2022, publié dans le JORT le jour même, et que lui-même a été convoqué par la justice pour « complot contre la sûreté de l’Etat ». Un crime capital passible de la peine de mort.
Ainsi, a-t-il assuré, dans une interview accordée hier mardi à l’agence de presse allemande DW que « les séances plénières du Parlement vont se poursuivre ». De même que le mouvement Ennahdha et les députés qui refusent la dissolution du Parlement « s’opposeront à cette décision. Et ce, avec tous les moyens possibles, dont l’organisation d’une manifestation le 9 avril courant avec toutes les forces de l’opposition ».
Commentant la convocation de plusieurs parlementaires par les forces sécuritaires, Rached Ghannouchi s’est adressé encore une fois à un média étranger. Et ce, pour avancer que « Kaïs Saïed veut donner l’impression que nous sommes des terroristes ». Et de livrer un scoop retentissant: « Mais nous avons refusé de répondre à toutes les questions puisque nous profitons de l’immunité parlementaire ». Sic !
Le calife au secours d’Ennahdha
Et devinez qui a volé au secours de son pauvre protégé, victime « d’un coup d’Etat » qui jouit encore de « l’immunité parlementaire? » Le calife d’Ankara, Recep Tayyip Erdoğan, le président de la Turquie en personne!
Ainsi, dans un communiqué de presse publié lundi 4 avril 2022 par la présidence turque, le président Erdogan, grand démocrate dans l’âme et sourcilleux adepte des droits de l’Homme dans son pays, a daigné se pencher sur les derniers événements en Tunisie qu’il a qualifiés « d’atteinte à la démocratie ». Pour juger que « la dissolution du parlement tunisien qui comprend des membres élus, porte un coup à la volonté du peuple tunisien. « Un coup contre la volonté du peuple ».
Et de marteler: « Nous regrettons la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple, qui a tenu une session plénière en Tunisie le 30 mars 2022; et l’ouverture d’une enquête contre les représentants qui ont participé à ladite session plénière. »
Ingérence gravissime de la Turquie
Paternaliste à souhait et véritablement « inquiet pour l’avenir de la Tunisie », le maître d’Ankara exprime l’espoir que ces développements « ne nuisent pas à la phase de transition en cours vers l’établissement de la « légitimité démocratique en Tunisie ».
De même, M. Erdoğan possède la recette magique pour sortir la Tunisie de sa crise politico-constitutionnelle. Ainsi, il estime que « le processus de transition ne peut réussir que grâce à un dialogue global et significatif auquel participent toutes les composantes de la société. Y compris le Parlement qui incarne la volonté nationale ».
Traduction: le dialogue « global et significatif » qu’il appelle de ses vœux ne peut se faire en écartant le mouvement Ennahdha. Lequel à ses yeux « incarne la volonté nationale ». Donc, retour simple au 24 juillet. Le message de la Présidence de la Turquie est clair et limpide.
Dans l’attente d’une réaction digne de ce nom
Alors, de grâce, cessons de tourner autour du pot et appelons un chat un chat. Car, non content de s’ingérer sans vergogne dans une affaire interne d’un pays souverain, M. Erdoğan se range ouvertement dans le camp des islamistes. Et ce, en appelant au retour d’un Parlement honni par la majorité du peuple. Alors même que les chancelleries occidentales ont fini par entériner l’idée que la défunte ARP appartient désormais à un passé peu glorieux.
Alors qu’est ce qui empêche notre Président, qui a eu le courage de faire montre de sa détermination face à l’ambassadeur américain Donald Blome à propos d’une simple tenue d’une plénière virtuelle du Congrès américain sur l’état de la démocratie en Tunisie, d’exprimer haut et fort son mécontentement de l’attitude turque, en appelant notre ambassadeur à Ankara. Première étape à d’autres décisions plus radicales?