A Rached Ghannouchi qui affirme à ceux qui veulent bien l’entendre que la reprise des travaux du Parlement « est inéluctable, que cela plaise ou non », la dernière déclaration de l’ambassadeur américain Donald Blome lui fait l’effet d’une douche froide. Désormais, le défunt Parlement est bel et bien enseveli six pieds sous terre.
Le départ de l’ambassadeur américain, Donald Blome, en poste à Tunis depuis janvier 2019, est annoncé. Pour une nouvelle mission plus prestigieuse à Islamabad, en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire au Pakistan. Sans que pour autant le nom de son successeur ne soit révélé à ce jour.
Pourtant, l’entretien très important qu’il a accordé, hier jeudi au quotidien arabophone Assabah, ouvre la voie aux spéculations les plus contradictoires. D’ailleurs, il laisse présager d’une reconfiguration des relations souvent compliquées et tumultueuses entre le pays de l’Oncle Sam et la Tunisie.
Des relations en dents de scie
Une preuve de la complexité des relations souvent tendues entre Washington et Carthage? Le président de la République, Kaïs Saïed convoquait Donald Blome le 14 octobre dernier au palais de Carthage. Et ce, pour exprimer sur un ton énergique son « mécontentement » de voir la Tunisie à l’ordre du jour des travaux de la Chambre des représentants. Une initiative perçue comme une ingérence inacceptable dans les affaires internes de notre pays. Mais un geste considéré comme « excessif » par le département d’Etat américain.
Puis, sept mois plus tard, le diplomate américain était reçu à Carthage. Il s’y rendait pour une visite d’adieu au chef de l’Etat, à l’occasion de la fin de sa mission. Il fut décoré pompeusement des insignes de Grand officier de l’Ordre de la République. « En hommage à ses efforts visant à raffermir les liens d’amitié historique entre la République tunisienne et les États-Unis d’Amérique », dixit le communiqué de la Présidence.
« Les fondements de la relation entre les Etats-Unis et la Tunisie sont solides, voire très solides, surtout depuis 2011 ». Ainsi déclarait l’ambassadeur américain, à l’issue de cette cérémonie.
Cela veut-il dire que tout baigne dans l’huile entre Washington et Carthage?
Facile à dire, quand on se rappelle que le président de la République avait convoqué l’ambassadeur américain en octobre dernier pour lui exprimer sur un ton jugé « excessif » son « mécontentement à propos de la tenue d’une plénière virtuelle du Congrès américain sur l’état e la démocratie. Et lorsqu’on se souvient que l’administration Biden a proposé le 1er avril de réduire de près de moitié les aides financières et militaires américaines à la Tunisie.
IFM : pas de véto américain contre la Tunisie
Il faut relativiser les choses, nuance Donald Blome. Ainsi, dans cette interview à Assabah, il a qualifié de « très fortes » les relations entre les deux pays. « Malgré la préoccupation exprimée par Washington au sujet de la crise politique en Tunisie ».
« Les relations entre nos deux pays se sont même davantage renforcées. Ce qui le confirme, c’est l’aide américaine à la Tunisie qui a dépassé les deux billions de dollars », a-t-il ajouté. Tout en niant l’existence d’une rupture entre son pays et la Tunisie; ainsi que d’un véto américain contre le gouvernement tunisien au Fonds monétaire international.
D’ailleurs, son pays « a accueilli favorablement l’annonce du président de la République des échéances de la prochaine période. Laquelle s’achèvera avec la tenue d’élections législatives anticipées ».
« Quelle que soit la voie de la réforme politique, il est nécessaire de revenir aux traditions politiques tunisiennes. Et d’assurer la participation la plus large possible de tous les acteurs. Y compris les partis politiques, les organisations nationales et la société civile pour déterminer les réformes ». Ainsi, s’exprimait encore le diplomate américain.
Donald Blome annonce-t-il un revirement américain?
Mais, et c’est d’une importance capitale, tout en appelant « au retour des institutions démocratiques en Tunisie », M. Blome a précisé que « pour Washington, la question n’est pas de revenir à l’avant 25 juillet. Mais il s’agit d’aller de l’avant et de poursuivre le processus démocratique ».
Pragmatisme
Certes, pour l’ambassadeur américain qui ne se prononce pas d’habitude à la légère et dont les propos reflètent fidèlement la position officielle de la diplomatie américaine, il ne s’agit nullement d’une caution morale ou d’un blanc-seing pour le « coup de force » perpétré par Kaïs Saïed. Mais plutôt que Washington a fini par accepter, digéré et interné un fait accompli. A savoir que le défunt Parlement, gelé puis dissous, appartient désormais au passé. Et qu’il faille par conséquent tourner définitivement la page. Pragmatisme américain oblige.