Il ne s’agit nullement d’une ingérence dans les affaires d’un pays ami. Mais d’un devoir de défendre ses propres intérêts devant le péril qui se profile. Avec la possibilité réelle de voir Marine Le Pen s’installer sur le trône de France. Alors que le duel avec le président-candidat, Emmanuel Macron, s’annonce serré.
Le droit d’ingérence humanitaire, formule qu’on doit à Bernard Kouchner, ancien ministre français proche des socialistes, fut inventé pour justifier l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003, au mépris du droit international. Il peut être retourné contre la France actuelle, dans le second tour de la présidentielle où s’affronteront M. Le Pen et E. Macron. Non pas pour l’envahir militairement; mais en usant de l’influence des pays maghrébins. En raison de la présence sur le sol de l’Hexagone de millions de leurs ressortissants portant la nationalité française. Et notamment la Tunisie qui compte à elle seule plus d’un million, dont une grande partie possède la carte d’électeurs. Réciprocité aussi, car la France depuis Ahmed Bey (1837-55) ne s’est jamais retenue de fourrer son nez dans nos affaires intérieures; et ce, jusqu’à la semaine dernière.
Devoir d’ingérence humanitaire
La France est en péril et elle risque bien de basculer dans une ère, caractérisée par le règne de l’extrémisme de droite. Celui-ci ayant pour cible privilégiée, les quelques millions de Maghrébins et de musulmans dont il compte se débarrasser ou du moins les marginaliser. Nos ressortissants subiront ainsi, si par malheur, la candidate de la droite haineuse et revancharde l’emporte le 24 avril prochain, de devenir des parias des temps modernes; boucs émissaires d’une crise économique et sociale sans précédent, à laquelle s’ajoute la crise politique.
Plus d’un tiers des électeurs français partagent les idées racistes et xénophobes d’un Zemmour et d’une Marine Le Pen. Et ce n’est qu’un début! Car en cas de victoire, une grande partie du peuple français basculera dans cette mouvance, qui semble nous ramener aux années trente; avec l’irruption du nazisme et du fascisme.
Il est donc du devoir de nos États de protéger leurs citoyens qui résident dans ce pays. Que l’on ne se cache pas derrière une diplomatie révolue et qui ferme les yeux devant ce danger imminent.
Le danger qui nous guette
En effet, la France compte quelques millions de Maghrébins qui ont le droit de vote étant Français. Et ils peuvent peser sur le résultat du scrutin, puisque les deux candidats, ne sont séparés que par deux points (51% pour Macron et 49% pour Le Pen), selon les sondages du 10 avril au soir. Mais il est peu probable que les dirigeants actuels du Maghreb osent le faire, de peur des représailles. Or, les intérêts de nos pays sont bel et bien menacés si jamais par malheur la candidate de l’extrême droite l’emporte!
Tout d’abord, la France tolérante et accueillante sera un souvenir. Car l’étau va se resserrer sur nos compatriotes sur tous les plans. La priorité à l’emploi sera donnée uniquement aux Français dit de souche. Et l’on retournera à la politique des charters pleins d’immigrés, renvoyés illico-presto sans respect du droit et de la dignité humaine. Même les hommes d’affaires et les commerçants originaires de nos pays se verront opposer des portes, des autorisations et du crédit fermés au nez.
La France, premier partenaire économique
N’oublions pas que pour la Tunisie, notamment ces deux dernières années, les transferts en devise provenant de nos compatriotes à l’étranger ont atteint des records. On subira alors une perte sèche.
En outre, la politique protectionniste que suivra Marine le Pen qui est contre l’Europe, rendra plus difficile nos exportations en textile, chaussures, produits agricoles, services vers la France. Or, ce pays est notre premier partenaire économique avec qui se font plus de 80% de nos échanges.
Pour faire plaisir à sa base électorale notamment, nos exportations vers ce pays seront lourdement taxées, pour qu’ils ne fassent pas concurrence aux produits made in France. C’est du protectionnisme économique sous le label: « consommer français ». Sachant que la Tunisie est le 9ème exportateur de textile sur l’Europe et le quatrième en jeans, notamment vers le marché français. Évidement nous ne serons pas les seuls pénalisés. Mais notre situation économique, déjà catastrophique, va empirer.
Mais c’est aussi la politique européenne de la France qui va changer radicalement. Nous allons perdre un allié permanent de notre pays dans l’Union européenne. Et ce, au moment où nous sommes sur le point de rediscuter avec cet ensemble le statut de voisin privilégié.
Le risque de la relocalisation
D’autre part, plus de 1200 entreprises françaises ont investi en Tunisie et emploient des milliers de personnes. Marine Le Pen a toujours critiqué la délocalisation des entreprises, à la recherche d’un coût de main-d’œuvre plus clément et des avantages fiscaux plus avantageux. Elle fera tout pour les rapatrier à force de lois. Des milliers de chômeurs en plus pour nous et des exportations en moins.
Certes, il y a beaucoup à dire sur la politique française à l’égard de notre pays. Notamment quant à sa fâcheuse tendance à vouloir s’immiscer dans la politique intérieure tunisienne. Suivant ainsi et toujours la politique américaine. Et rompant avec la tradition gaulliste de la politique arabe de ce pays, et le respect de notre indépendance. Mais on a toujours pu négocier au mieux nos rapports d’État à État. Cela ne serait plus possible si Marine Le Pen s’installe à l’Élysée. Jamais cette dame ni ses semblables n’ont rendu visite à un pays maghrébin. Elle et son père étaient et restent nostalgiques de l’Algérie française. D’ailleurs, ils n’ont jamais pardonné à nos pays d’avoir arraché l’Indépendance de haute lutte.
Et puis la France de Macron a volé au secours de notre pays. Et ce, lorsque les morts jonchaient les salles de nos hôpitaux pour cause de pandémie. Sans parler d’autres aides à un moment crucial de notre histoire.
La Tunisie doit voter Macron, non pas parce que nous partageons ses convictions et ses orientations. Ni pour son alignement systématique sur les positions américaines en matière de politique étrangère. Ni seulement pour nos intérêts. Ces valeurs sont aussi les nôtres, nous devons les défendre quand elles sont attaquées en France.
Et nous pouvons le faire à travers notre diaspora quel que soit le résultat du scrutin présidentiel français.
Qui parmi nous n’a pas un parent qui porte la nationalité de ce pays ou qui y vit et y travaille? Tout ce qui concerne la France nous concerne désormais. Les médias tunisiens qui sont suivis surtout dans ce mois saint par des dizaines de milliers de Tunisiens et de Maghrébins, ont un rôle à jouer. Il faut qu’ils arrêtent de traiter les affaires de ce pays dans les journaux télévisés et radiophoniques comme s’il s’agit de l’Australie ou de la Corée du nord.
Dans moins de deux semaines la France que nous connaissons risque d’être perdue à jamais. Et c’est une possibilité bien réelle, si Macron n’est pas réélu. Mais même dans ce cas, il faut se préparer à affronter les conséquences, ou alors nous les subirons à nos dépens.