Arrivée au second tour de l’élection présidentielle française, Marine Le Pen veut interdire le voile en France, y compris dans l’espace public. Pour conforter sa proposition, elle a assuré que « M. Bourguiba avait interdit le voile en Algérie ». Outre la confusion grossière sur laquelle il n’est pas besoin de revenir, précisons que le père de l’indépendance tunisienne (et non algérienne…) n’a jamais interdit le port du voile dans la rue. En effet, des circulaires ont bien été prises à partir de 1981, en vue d’interdire « la tenue confessionnelle ». Mais leur champ d’application se limitait aux établissements scolaires publics, aux établissements primaires et secondaires. Ainsi qu’aux écoles supérieures d’enseignement, aux cités et aux foyers universitaires. En outre, dans le contexte franco-français, une telle idée contrevient au principe même de laïcité.
Animée par des idées anticléricales, la Révolution de 1789 pose les bases de l’État laïc et de la laïcité. Nourris par les Lumières, les révolutionnaires mettent fin au caractère confessionnel d’un Etat monarchique fondé sur le monopole de la légitimité historique d’une religion officielle: le catholicisme. Le principe de la représentation se substitue au modèle de l’incarnation. C’est la fin du pouvoir de droit divin dont l’action devait se plier à un ordre juridique conforme à loi divine. Désormais le pouvoir émane de la volonté du peuple souverain, « [l]e principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » (art. 3 DDHC).
L’origine de la laïcité
Bien que l’Assemblée constituante ait proclamé les droits de l’Homme et du citoyen « en présence et sous les auspices de l’Être suprême », la Déclaration de 1789 conçoit un espace politique et civil en voie de déconfessionnalisation. L’État devient sans religion et impulse (contre l’Église catholique) la fin de la confusion entre ordre religieux et ordre civil. Ainsi, le contenu de la loi, expression de la volonté générale et objet d’une « déthéologisation », n’est pas lié par celui de la loi de l’Église.
Toutefois, la dissociation entre l’Etat et l’Eglise n’est pas synonyme de séparation. Au contraire, l’affirmation du pouvoir politique se traduit par une volonté de contrôle de l’Etat sur l’Eglise. Comme l’atteste la « constitution civile du clergé », source d’une « réorganisation-nationalisation-institutionnalisation » de l’Eglise catholique.
L’avènement de la IIIe République marque un tournant. Et ce, comme l’attestent les lois de laïcisation de l’école publique. Cependant, la consécration du principe général de séparation des Églises et de l’État, sous sa forme juridique, ne date que de la loi du 9 décembre 1905.
Même si paradoxalement le mot « laïcité » n’apparaît pas dans le texte. Adoptée dans un contexte conflictuel (animé par la confrontation entre des républicains et l’Eglise), la loi est l’expression d’un compromis politique, d’une solution transactionnelle. A savoir que désormais, « L’État n’est ni religieux, ni antireligieux. Il est areligieux », selon la formule d’Aristide Briand.
Le principe de séparation met donc officiellement fin au régime concordataire. Et il ouvre la voie au désinvestissement financier de l’État à l’égard des cultes. C’est la fin du régime juridique des « cultes reconnus ». Par conséquent, ces derniers sont privés des droits particuliers et spécifiques – autrement dit des avantages, y compris d’ordre protocolaire – qui leur étaient jusque-là accordés; ainsi que du statut de droit public dont ils jouissaient.
La loi de Séparation institue des « associations cultuelles », qui ont pour objet exclusif l’exercice d’un culte religieux. Elles ne relèvent de ce fait ni du droit public, ni du (futur) régime juridique des associations culturelles.
Alors, la loi de 1905 est une « loi de séparation » (des Églises et de l’État), mais aussi une « loi de garantie » (des libertés de conscience et de culte) et une « loi de neutralité » (de l’État); même si cette dernière est inhérente à la première.
Enfin, la Constitution française de 1958 dispose que « La France est une République laïque ». Une République laïque mais qui n’exclut pas l’existence de régimes dérogatoires. Comme l’attestent par exemple la persistance du régime concordataire (et de certaines dispositions du droit local allemand) en Alsace-Moselle. De même que l’application de régimes spécifiques en Outre-mer.
Le sens de la laïcité
La laïcité revêt traditionnellement un même sens, celui de la neutralité religieuse de l’État, et non pas de la société. En d’autres termes, l’espace public n’est pas soumis à la neutralité religieuse.
Selon l’article 1er, la République « assure la liberté de conscience » (qui commande la liberté religieuse) et « garantit le libre exercice des cultes ». Sachant que des restrictions peuvent être néanmoins édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
Si l’État est concerné par la reconnaissance de ces libertés (sources d’obligations négatives/d’abstention et positives/d’action pour la puissance publique), il se trouve directement visé par l’article 2 qui proclame la séparation (organique et financière) de l’État et des Eglises. Et affirme ainsi la neutralité confessionnelle de l’État (c’est-à-dire son impartialité à l’égard de toute organisation religieuse et toute croyance religieuse) en ce sens qu’il « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
A cet égard, la neutralité confessionnelle de l’État s’apparente à la fois à: une absence de doctrine confessionnelle professée par l’État (une impartialité garante de l’égalité des religions devant la loi); l’autonomie de l’ordre juridique étatique (dans ses fondements-sources); et de la puissance publique (aucun culte ne peut et ne doit avoir d’influence sur ses décisions) par rapport aux doctrines-prescriptions religieuses. L’impératif de non immixtion ou de non interférence est réciproque. Car l’Etat est tenu de respecter l’organisation/ordre interne des Eglises.
Il n’empêche, la délimitation du champ d’application du principe s’avère de plus en plus délicat. Une dynamique d’extension du principe de neutralité religieuse au-delà du périmètre de l’administration publique se vérifie ainsi à l’égard des usagers de l’école publique (loi n° 2004-228 du 15 mars 2004), des personnels salariés du secteur privé (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016), des personnes de droit privé exerçant une mission de service public ou issues d’un secteur privé délégataire d’une mission de service public, etc.
Derrière cette tendance de fond, certains perçoivent l’avènement d’une « nouvelle laïcité », de plus en plus source d’incompréhensions hors de nos frontières hexagonales. Nourrie par nombre d’acteurs de la vie publique, l’hystérie politico-médiatique tend à brouiller la signification profonde de la laïcité; à savoir: la séparation du politique et du religieux. Au point que Marine le Pen pourrait arguer de la laïcité pour justifier sa proposition d’interdiction du voile (mais pas de la Croix ou de la Kippa) dans l’espace public…