La pandémie du Covid-19 et la guerre actuelle en Ukraine, ont bien montré la fragilité des systèmes économiques mondiaux, qui trouvent leurs limites dans la multiplication des crises environnementales, alimentaires, sanitaires, politiques et sociales.
La dépendance de nombreux pays vis-à-vis de l’importation des produits alimentaires stratégiques, comme les céréales et les huiles végétales, représente une grave menace pesant sur la production et la stabilité sociale dans de nombreux pays où les risques de famine sont de plus en plus fréquents. Le problème se complique avec la hausse du prix de l’énergie (pétrole et gaz) qui a des répercussions inévitables sur tous les secteurs économiques et particulièrement le transport, l’agriculture et l’industrie.
La Tunisie gravement touchée et notre sécurité alimentaire menacée
La Tunisie vit depuis quelques années une détérioration flagrante de sa situation économique. Une crise économique aigüe qui se caractérise par un taux de croissance très faible, une dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds pour équilibrer le budget de l’Etat, un taux d’inflation élevé, une dégradation de la valeur du dinar, l’augmentation du chômage et de la pauvreté…
L’instabilité politique, les crises sociales, les grèves et les arrêts fréquents de production dans les secteurs du phosphate et pétrolier, le terrorisme et les assassinats politiques expliquent en grande partie cette situation. La pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont aggravé la situation de crise. Elles ont fini par mettre le pays à genoux.
De nombreux secteurs (tourisme et artisanat, hôtellerie et restauration, industries manufacturières) ont été gravement touchés. Le consommateur se trouve confronté au chômage, l’inflation et des prix de plus en plus élevés et la détérioration de son pouvoir d’achat.
Ces crises ont entrainé des difficultés d’approvisionnement en produits essentiels comme la semoule, la farine, le riz, l’huile de soja et même le pain. La Tunisie est dépendante de l’importation des céréales, d’huiles végétales et d’autres produits alimentaires.
L’augmentation du prix, de l’énergie, des matières premières et du transport, a eu une incidence sur les prix des divers intrants agricoles (semences, engrais, pesticides et autres produits chimiques, matériel et équipements) et industriels et un effet très sensible sur les coûts de production. L’augmentation des prix se répercute également sur les aliments du bétail et les coûts de production des produits de l’élevage (lait, viandes et œufs).
« Les crises ont entrainé des difficultés d’approvisionnement en produits essentiels comme la semoule, la farine, le riz, l’huile de soja et même le pain »
Les effets du changement climatique se manifestant notamment dans le déficit pluviométrique et la récurrence ces dernières années des périodes sèches ont entrainé un déficit dans la production fourragère, surtout dans le Centre et le Sud du pays, (fourrages cultivés, parcours et autres ressources) conduisant à une situation de déséquilibre entre les besoins des cheptels et les disponibilités des ressources nécessaires à leur alimentation.
Cette situation de crise a nécessité l’intervention de l’Etat pour aider les éleveurs et sauver les cheptels à travers la mise à leur disposition de produits subventionnés comme l’orge et le son de blé.
Toutefois, ces produits sont importés et présentent l’inconvénient de peser lourdement sur la balance commerciale du pays en plus de la récurrence de leur indisponibilité sur les marchés tant nationaux qu’internationaux.
La sécurité alimentaire est devenue un véritable enjeu et l’autosuffisance relative une question de survie. L’argent à lui seul ne suffit plus pour importer des produits alimentaires si ces derniers ne sont pas disponibles.
De gros efforts doivent être fournis pour améliorer notre production en céréales, en huiles végétales et en tourteaux, nécessaires pour l’alimentation animale, et réduire notre dépendance vis-à-vis des marchés internationaux de ces produits.
Le colza, une culture prometteuse
Le climat tunisien se prête bien à la culture du colza. Cette plante présente de nombreux avantages aussi bien au niveau culturel qu’au niveau alimentaire. Elle permet d’obtenir une huile de cuisine d’excellente qualité et un tourteau riche en protéines et bien apprécié pour l’alimentation animale.
Bien que certains mettent en doute l’intérêt de cette culture en avançant l’argument de son exigence en les intrants importés (semences, pesticides…) et l’éventualité de son développement au détriment des cultures de légumineuses et des céréales, elle s’avère au contraire une culture très intéressante.
En effet, le colza représente un précédent cultural fortement conseillé. En assolement avec du blé, une culture de colza permet une amélioration des rendements (estimée par certains jusqu’à 20%) et une réduction non négligeable des coûts de production de la céréale qui lui succède.
Il est tout à fait certain que le colza est l’une des rares plantes qui permettrait de réduire sensiblement notre dépendance alimentaire et de disposer pour le consommateur d’une huile végétale locale de qualité et d’un tourteau riche en protéines et acides aminés nécessaire pour alimenter le cheptel et contribuer à produire une alimentation humaine saine et riche en protéines (lait, viande et œufs, huiles…).
Une filière jeune et dynamique
La culture du colza a connu un grand progrès ces dernières années. Les superficies emblavées sont passées de 450 ha en 2014 à près de 15 000 ha lors de la saison agricole actuelle.
La Tunisie ambitionne atteindre 150 000 ha de colza en 2030. Ce qui permettraient de produire 96 000 tonnes d’huile de colza et 144 000 tonnes de tourteau soit près de 50% et 25% respectivement de nos besoins en huiles végétales et tourteaux.
Toute une filière jeune et dynamique est en train de se mettre en place. Elle se renforce grâce à la synergie de plusieurs acteurs : les fournisseurs d’intrants, les agriculteurs, des collecteurs, une usine de trituration des graines de colza et des usines de raffinage et de conditionnement.
Des contrats lient agriculteurs et collecteurs/usine de trituration et le prix de vente à la production de colza est déterminé avant chaque début de campagne, ce qui garantit aux producteurs l’écoulement de leurs produits sans pertes notamment en cas de fluctuation des prix sur les marchés. Par ailleurs, les prix de vente ont été revus à la hausse (150 dinars le quintal en 2022 au lieu de 125 dt/q en 2021) et s’avèrent très intéressants économiquement pour l’amélioration des revenus des agriculteurs.
« La Tunisie ambitionne atteindre 150 000 ha de colza en 2030 ce qui permettraient de produire 96 000 tonnes d’huile de colza et 144 000 tonnes de tourteau… »
L’Institut National des Grandes Cultures (INGC), dans le cadre d’un programme, financé par l’Union Européenne, appelé « Maghreb Oléagineux » et initié en 2019, travaille à la vulgarisation et l’encadrement des agriculteurs afin de maîtriser des techniques culturales de cette plante un peu délicate et exigeante en suivi.
Le programme »Maghreb Oléagineux », existe également au Maroc pour la promotion du colza et du tournesol à partir des semences européennes. De nombreuses ateliers de formation et de vulgarisation ont été organisées au profit de plusieurs agriculteurs.
Un atelier national a été organisé récemment, au début du mois de mars 2022, à Hammamet par l’INGC, en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture et l’Association pour l’agriculture durable (APAD), ayant porté sur les moyens de structurer la filière du colza, des problèmes actuellement rencontrés par les différents acteurs de la filière ainsi que des moyens à mobiliser pour la promotion de cette culture.
En cette période de crise, il est indispensable de revoir nos stratégies
Avec la crise sanitaire et la guerre, l’impératif de penser l’autosuffisance alimentaire en Tunisie a refait son retour alors qu’il avait laissé la place, lors de la vague de mondialisation de la fin du dernier siècle, à la notion de sécurité alimentaire et du libre échange entre pays producteurs.
Les crises mondiales, qui ont paralysé le transport maritime et entrainé l’augmentation des prix des matières premières ont montré la nécessité, pour les pays, de compter sur leurs propres ressources et leurs productions surtout pour les denrées alimentaires stratégiques comme les céréales.
La situation alimentaire mondiale est grave et la Tunisie est directement impactée. Il est indispensable de revoir nos choix et nos stratégies agricoles et alimentaires. La sécurité alimentaire, et l’autosuffisance en produits stratégiques, est primordiale surtout dans un contexte de changement climatique, de sécheresse et de réduction et rareté des disponibilités hydriques.
« La situation alimentaire mondiale est grave et la Tunisie est directement impactée. Il est indispensable de revoir nos choix et nos stratégies agricoles et alimentaires. »
Il est urgent de sauver nos filières de production aussi bien végétales qu’animales. Ces filières sont actuellement sévèrement mises à l’épreuve et menacées de désorganisation et de disparition.
La révision de la politique des prix, l’importation des produits agricoles, le problème de la subvention et de compensation des produits de base, doivent représenter les composantes d’une stratégie globale de sécurité alimentaire et de développement de notre agriculture et notre élevage.
Il est nécessaire de bien gérer nos disponibilités et limiter les pertes et gaspillages des produits alimentaires qui sont estimés à plus de 30%.
La politique d’exportation (huile d’olive, dattes, agrumes et primeurs) aux dépens des cultures vivrières et de la consommation locale, doit être évaluée revue et corrigée.
Interdiction d’exporter des produits alimentaires de première nécessité
L’exportation des produits alimentaires est demandée afin de réduire notre balance commerciale alimentaire et faire des rentrées en devises. Toutefois cette exportation doit être interdite tant que le pays est déficitaire en ces aliments.
En effet il n’est pas cohérent ni logique d’exporter des céréales ou des légumes, de la viande, du lait ou des œufs tant que la demande intérieure en ces produits n’est pas satisfaite et que ces produits manquent sur le marché national.
Les prix étant la résultante entre une offre et une demande, il est évident qu’en cas d’une diminution de l’offre (faible production ou exportation), les prix connaîtront une augmentation certaine dans un marché libre.
Pour lutter contre la hausse des prix des légumes (pomme de terre, tomate, piment, oignon) le Ministère du Commerce a interdit, il y a quelques jours, l’exportation de ces produits.
L’interdiction doit également concerner tous les produits agricoles dont les graines de colza. Cette culture a été encouragée et promue par le ministère de l’Agriculture dans l’idée de réduire le déficit national en huiles végétales et en tourteaux.
Exporter les graines de colza, alors qu’elles pourraient être valorisées sur place, créer de la valeur ajoutée et de l’emploi serait à l’encontre du développement de la filière et des objectifs nationaux.
Se remettre au travail
La situation économique de la Tunisie est catastrophique. Le pays est au bord de la faillite. La crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine, en plus de la corruption et de la spéculation, finiront par mettre à genoux le pays dont la survie dépend de nos jours d’un hypothétique prêt du FMI.
Il est indispensable de se remettre au travail et de bien gérer nos maigres ressources. La Tunisie dépend, pour de nombreux produits alimentaires de l’importation et la balance commerciale alimentaire connait un déficit de plus en plus grave. Il est urgent de faire face à ce déséquilibre et de dresser des stratégies adéquates. Et ce pour développer notre agriculture et nos élevages.
Il est enfin urgent de raisonner nos importations et d’interdire l’exportation des produits agricoles, destinés tant à l’alimentation humaine qu’animale, pouvant être valorisés sur place, créer de la plus-value et de l’emploi et contribuer à atteindre notre sécurité alimentaire. Composante essentielle de notre souveraineté alimentaire et nationale.