Le naufrage du cargo Xelo dans la nuit du 15 au 16 avril, au large de Gabès, pourrait-il être de nature criminelle? Un faisceau de présomptions concordantes plaide en faveur de cette éventualité. Récit d’une aventure rocambolesque.
Et si après avoir été transformé en un terrain à ciel ouvert pour le trafic crapuleux des déchets italiens, la Tunisie est devenue un cimetière maritime pour les bateaux-poubelles transporteurs illégaux d’hydrocarbures? Preuve en est le naufrage du Xelo sur nos côtes.
En effet, il s’agit de l’histoire abracadabrantesque du naufrage d’un navire au plan de navigation incertain, au large du golfe de Gabès. Lequel pétrolier, portant pavillon de la Guinée équatoriale, ne transportait pas de cargaison. Puisque les 750 tonnes de gasoil représentent la consommation de ses moteurs.
Alors, quelles sont les causes réelles de son naufrage? A-t-il été sabordé délibérément par la société turco-libyenne, propriétaire du cargo, pour toucher une prime d’assurance?
Criminalité et contrebande
Tout d’abord, la réponse de Mabrouk Korchid, ancien ministre des Domaines de l’Etat et avocat de profession, est édifiante. En effet, il estime que le naufrage du cargo au large de Gabes pourrait être de nature criminelle. Le navire ayant pu être utilisé pour la contrebande. Ajoutant que le trafic de pétrole est florissant à partir de la Libye, notamment vers Malte et l’Italie.
« L’enquête pourrait aboutir à cette conclusion et au fait que les documents du navire sont faux ». Ainsi a-t-il affirmé, via un post dimanche dernier sur sa page FB. Et de conclure: « Dans ce genre d’opérations, le bénéfice est pour Malte et les pertes pour la Tunisie ». Triste constat…
Ensuite, « 120 mille barils de pétrole sont destinés à la contrebande vers les pays européens tous les jours ». C’est que Rafaâ Tabib renchérit. Le géopoliticien et chercheur universitaire s’exprimait en ces termes, lors de son intervention dans Houna Shems, lundi dernier. « Le naufrage du navire Xelo au golfe de Gabès, un triangle de criminalité qui comporte la Lybie, Malte et la Tunisie, revient au chaos que connaît la région. Et ce, à cause de la situation en Lybie et des opérations de contrebande et criminelles. Sachant que ce naufrage ne peut pas avoir lieu dans d’autres régions car elles sont militarisées ».
Pour sa part, et se référant à des données satellitaires (GPS), le député gelé basé en Italie, Mejdi Karbaï, affirme que le pétrolier Xelo n’a pas fait l’itinéraire Port Damiette – Malte mais plutôt Malte –Tunisie – Egypte. Un trajet facile donc à vérifier, avis aux enquêteurs tunisiens.
Un itinéraire bizarre
Mais rembobinons les faits. Parti du port de Damiette en Égypte, le cargo Xelo, 58 mètres de long et 9 mètres de large, se dirigeait apparemment vers Malte. Dans la nuit du 15 au 16 avril, il demande l’autorisation d’entrer dans les eaux territoriales tunisiennes pour se mettre à l’abri de vents particulièrement violents.
En vain, puisqu’il a coulé à environ 7 km des côtes tunisiennes, après avoir lancé un appel de détresse. Il sombrera dès le lendemain matin. Le pétrolier, rappelons-le, qui est chargé d’environ 750 tonnes de gazole, a commencé à prendre l’eau qui s’est infiltrée dans la salle des machines, montant jusqu’à près de deux mètres de hauteur. Voici la version du commandant du bord.
Mais comment expliquer la présence du Xelo bien plus au sud que ce que prévoit sa route initiale de Damiette à Malte? Le commandant de bord aurait affirmé avoir été dérouté par le vent. Faux, selon les services de météo tunisienne, la violence du vent était toute relative à cet endroit précis.
De plus, des données satellitaires révèlent sa présence à Sfax du 2 au 9 avril, en provenance de Malte. Jusqu’au 14 avril, il disparaît des radars pour finir par s’échouer le 16 avril. N’avait-il pas eu le temps du 14 au 16 de rallier Damiette et de parvenir au niveau des côtes tunisiennes?
Bateaux-poubelles story
Et ce n’est pas tout. Le Xelo, construit en 1977, a derrière lui 45 ans de bons et loyaux services. Avant de passer sous pavillon équato-guinéen, le Xelo, sous d’autres noms, a été successivement rattaché à Singapour, à l’Irlande, au Royaume-Uni, à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au Bélize et à la Russie. Pour mieux brouiller les pistes?
D’ailleurs, pourquoi ce vieux rafiot, déclaré par les autorités grecques non apte à la navigation, a été facilement autorisé à entrer dans les eaux territoriales tunisiennes?
Autre zones d’ombre, le ministre de l’Environnement en charge de la gestion de crise annonce qu’un document a disparu. Lequel document accompagne le transport maritime de marchandises et où figure le détail du chargement.
Alors, a-t-il été sabordé volontairement par ses propriétaires turco-libyens pour frauder les assurances? Ce n’est pas exclu.
Des zones d’ombre que les autorités tunisiennes ont tout intérêt à éclaircir et démêler les fils fort complexes. Et ce, pour déterminer la responsabilité des uns et des autres dans la catastrophe écologique qui risque de se produire dans le golfe de Gabès. Lequel avait vu déverser dans ces eaux- durant les 25 dernières années, selon le 30ème rapport annuel de la Cour des comptes- environ 150 millions de tonnes de phosphogypes, une substance toxique néfaste sur les espèces maritimes et la santé humaine.