Fréderic Jenny, président du Comité de la concurrence de l’OCDE, estime que la Tunisie peut agir pour changer la réalité du terrain au niveau de la concurrence. Qu’elles soient structurelles ou liées aux textes et procédures en cours, les améliorations qu’une équipe de l’OCDE vient de présenter ne peuvent que revigorer l’économie tunisienne et diffuser le progrès. Extraits de l’interview exclusive accordée à l’Economiste Maghrébin.
Comment évaluez-vous le niveau de la concurrence de l’économie tunisienne ?
Lorsqu’on observe l’économie tunisienne du point de vue de la concurrence, de nombreux aspects seraient à revoir. La Tunisie est le premier pays maghrébin à avoir adopté la loi de la concurrence (en 1991). Il s’agit d’une loi qui a libéré l’initiative. Elle a procédé à la libéralisation des prix. Cependant, pour des raisons institutionnelles, cette loi n’a été que peu appliquée jusqu’à 2015, date à laquelle il y a eu une accélération du droit de la concurrence comme étant un instrument dynamique. Cela dit, dans le droit de la concurrence, il y a trois dimensions pertinentes.
La première concerne la lutte contre l’économie de rente. Or, en Tunisie, pour des raisons historiques et de concentration, il existe des secteurs où l’économie de rente perdure. La seconde est relative à l’exclusion d’agents économiques. Ce qui ne peut bénéficier au développement d’activités et à l’innovation. Et la troisième dimension concerne l’attractivité des investissements étrangers.
Mais toujours est-il qu’il faut un cadre juridique qui protège les opérateurs contre les abus et qui leur permet de travailler le plus normalement du monde.
Dans le cadre de cette mission de l’OCDE, ce sont trente-huit autorités de la concurrence venant d’horizons divers et qui se sont penchées sur le cas tunisien. Elles ont abouti à la conclusion suivante : il existe des marges importantes d’avancées possibles.
Comment situez-vous la concurrence au sortir de la pandémie ?
Je pense que le débat a porté sur la délocalisation géographique plutôt que sur la concurrence. Pour des raisons stratégiques, il faut garder une unité de production dans le pays ou dans la région. Mais, la politique industrielle n’est pas opposée à la concurrence. La concurrence permet de dégager les entreprises performantes.
De par le passé, on s’est peut-être beaucoup intéressé à la diminution des coûts et aux délocalisations et pas assez à la pérennité des entreprises. On pense maintenant plus au long terme. On s’achemine donc vers une globalisation régionale ou une chaîne de valeur régionale. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne s’ouvre sur l’extérieur.
Souvent, il y a des accidents systémiques, comme celui de la Covid. Et c’est bien d’avoir anticipé ces accidents grâce à une politique stratégique industrielle adaptée.
Y a-t-il des synchronisations à faire dans le cadre des intégrations régionales ?
Dans la concurrence, il y a deux aspects : la concurrence totale et la concurrence internationale. La libéralisation du commerce intensifie la concurrence internationale et au niveau national, il y a le droit de la concurrence qui s’applique au marché national afin qu’il n’y ait pas d’exploitation abusive et d’exclusion.