L’Ukraine est devenue le théâtre de crimes de guerre en série commis essentiellement par des soldats russes. Les auteurs de ces crimes peuvent-ils rester impunis? Si les yeux se tournent vers Poutine, certains précédents pèsent sur la crédibilité du droit pénal international tant les tribunaux compétents se montrent incapables de juger les puissants, en général, et les occidentaux, en particulier.
L’histoire du droit pénal international connaît quatre exemples de juridictions ad hoc et un exemple de juridiction internationale permanente. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo furent les premiers exemples de juridictions pénales internationales ad hoc. Ces tribunaux internationaux jugèrent ainsi les grands criminels de guerre. Mais leur juridiction n’était que temporaire. Il fallut attendre ensuite 1993 pour que le Conseil de sécurité de l’ONU décide de créer un tribunal international pour l’ex-Yougoslavie. La même solution sera retenue pour le Rwanda, en 1994.
Le développement d’un droit pénal international
Seule la mise en place d’une juridiction permanente est susceptible de permettre une répression pénale internationale générale. C’est l’objectif vers lequel tend la Cour pénale internationale (CPI) créée le 17 juillet 1998. Le statut de la Cour établit son organisation et ses règles de procédure et définit les crimes internationaux constitutifs d’infraction: crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre.
Si avec le développement d’un droit pénal international, l’individu est amené à assumer une responsabilité pénale internationale, celle-ci se pose en des termes particuliers pour les chefs d’Etat. Le droit international classique voit dans le chef de l’État l’incarnation même de l’État, sa personnification même. Dès lors, porter atteinte au chef de l’État, c’est porter atteinte à l’État lui-même, à sa souveraineté. Cette idée classique fonde le régime d’immunités dont il jouit traditionnellement (et qui se distingue de l’immunité des agents diplomatiques). Toutefois, depuis le précédent que représente le Statut du Tribunal de Nuremberg, la question des limites ou exceptions de ce régime d’immunité est posée dès lors qu’il s’agit de crimes internationaux.
Poutine, criminel de guerre
En Ukraine, les attaques contre la population civile pourraient justifier l’engagement de la responsabilité pénale du président Poutine ou du moins d’officiers de l’armée russe. Outre l’hypothèse de la création d’un tribunal pénal international spécial pour examiner les crimes commis par les dirigeants (politiques et militaires) russes, la CPI, compétente pour connaître des crimes de droit international – génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre – est déjà en action.
Ainsi, le Procureur de la Cour, le Britannique Karim Khan, a officiellement annoncé, le 2 mars dernier, l’ouverture d’une enquête préliminaire sur de possibles crimes de guerre susceptibles d’avoir été commis en Ukraine. C’est désormais au Bureau du Procureur de la CPI qu’il revient de décider des charges pour lesquelles il compte poursuivre les suspects contre lesquels il a obtenu des actes d’accusation. Cette décision est prise sur la base des faits de l’espèce et des éléments de preuve dont le Bureau dispose; des enquêteurs sont sur place pour documenter les crimes perpétrés et réunir les éléments de preuve.
Partant, l’hypothèse de l’émission d’un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine est, à terme, juridiquement possible. Ce dernier pourrait alors se trouver sérieusement entravé dans ses déplacements internationaux. En effet, en se rendant dans un État partie de la CPI, il risquerait d’être arrêté sur la base du mandat d’arrêt qu’aurait émis le Procureur de la Cour.
Bush et Blair, criminels de guerre
La perspective de voir un jour Vladimir Poutine répondre de ses actes et décisions doit être soutenue au nom du principe de l’Etat de droit et de la valeur que représente la justice. L’enjeu est aussi de mettre fin à une justice pénale internationale à deux vitesses.
La CPI est en effet confrontée à un procès lancinant d’une justice à géométrie variable, compte tenu de l’impossibilité jusqu’ici de poursuivre et de condamner un quelconque responsable politique ou militaire des grandes puissances occidentales.
Au-delà des limites liées à son propre champ de compétence, nombre de dirigeants et de citoyens de l’ex-Tiers-Monde gardent à l’esprit l’impunité dont a joui le couple Bush-Blair, au terme de l’invasion illégale de l’Irak en 2003.
Et pourtant, cette guerre préventive justifiée par les mensonges sur les « armes de destruction massive » a provoqué plus de 500 000 morts entre 2003 et 2011. Mais aussi l’assassinat de civils (comme l’attestent les images vidéos publiés par Wikileaks), la systématisation de la torture institutionnalisée (à Abou Ghraib, notamment) et la création d’une créature djihadiste: Daech. Ruse de l’histoire, cette guerre justifiée par la « guerre globale contre le terrorisme » a fait naître un nouveau foyer du terrorisme international dont on n’a pas fini de payer le prix géopolitique et symbolique…