La crise budgétaire qui secoue la Tunisie enfante des conséquences multidimensionnelles. L’absence d’une politique gouvernementale de gestion des risques budgétaires constitue un incubateur de crises et de chocs qui déstabilise la Tunisie. Et ainsi précarise les services publics et le bien-être; dans ce pays ruiné par dix années de mal-gouvernance et de marasmes économique. Ce que je pense…
La Tunisie est un pays surendetté et dont la gestion des risques est encore embryonnaire pour ne pas dire déficitaire. Elle doit moderniser la gestion budgétaire, en introduisant des mécanismes de management des risques et notamment des risques budgétaires.
Les risques budgétaires sont maléfiques
Et pour cause, le monde d’aujourd’hui est assailli par des crises que nous n’aurions pas pu prévoir il y a trois ans. A savoir: une pandémie mondiale; des perturbations de la chaîne d’approvisionnement à grande échelle; et une guerre en Ukraine. Ces crises ont eu et ont encore des effets dévastateurs. En causant des pertes en vies humaines et des bouleversements économiques.
Ces risques et imprévus ont également eu un impact sur les finances publiques. Car les gouvernements ont pris des mesures pour protéger leurs citoyens et leurs économies des pires effets. Ces défis surviennent dans un contexte d’endettement élevé, d’espace budgétaire limité et d’incertitude élevée.
Certes on ne peut pas tout prévoir avec certitude. Mais les techniques d’analyse des risques existent. Ainsi que les simulations liées pour introduire des probabilités estimées et des pondérations pour situer les plages de risques. Avec des recommandations et des aides à la décision, pour minimiser les risques budgétaires.
Nous ne pouvons pas prédire quels événements pourraient se développer l’année prochaine ou l’année d’après. Mais les décideurs politiques peuvent structurer les finances publiques en gardant à l’esprit la résilience. Ce que les gouvernements peuvent faire pour mieux les comprendre, les gérer et s’y préparer c’est une gestion saine des risques budgétaires. Ce n’est un secret pour personne que la Tunisie traverse aujourd’hui la période la plus triste et la plus difficile de son histoire. Toutes les sonnettes d’alarme retentissent.
Le budget subit les contrecoups de l’économie
Une situation politique très complexe et les horizons sont presque dans l’impasse. Il s’agit d’une situation économique sans précédent qui laisse présager des tensions sociales.
En effet, le taux de chômage a atteint 20%. Sachant que 130 000 entreprises fermaient en 2021. Et que la dette publique extérieure de l’État tunisien s’élevait à plus de 100% du PIB. De plus, les taux d’inflation connaissent une hausse inconnue et peuvent atteindre 20% en 2022. Avec une baisse du taux de change du dinar de plus de 15% d’ici la fin de 2022.
Par conséquent, l’économie est incapable de créer de la richesse et son taux de croissance ne dépasse pas 0,5%. Tandis que la masse et les salaires augmentent chaque année de 12% leur part du budget de l’État, le plus élevé au monde. Sans tenir compte des coûts exorbitants de la gestion de l’État, du fardeau budgétaire que les entreprises publiques occasionnent au budget public. Ce fardeau absorbe en moyenne 10% des ressources de l’État. Alors qu’elles ont été créées pour supporter par le budget de l’État, les caisses de retraite sont au bord de la faillite…
Tout cela sans oublier l’aspect social comme celui d’un Tunisien sur cinq qui vit en dessous du seuil de pauvreté- moins de cinq dollars par jour.
Compte tenu de ces données et pour des raisons liées au poids et à la taille de la dette publique par rapport à la rentabilité de notre économie et à sa capacité à créer de la richesse et à atteindre des taux de croissance élevés autres que ce qu’elle a atteint au cours de la dernière décennie noire, un plan de gestion des risques budgétaires est d’une importance capitale et inévitable afin de surmonter cette crise économique et sociale.
Risque budgétaire: C’est quoi au juste?
Qu’entend-on nous par risques budgétaires? Ce sont tous ces facteurs qui peuvent faire dévier les finances publiques de ce à quoi nous nous attendons. Des événements comme les pandémies, les récessions, les crises financières, le changement climatique ou les catastrophes naturelles.
Comme de nombreux pays en ont fait l’expérience, les deux dernières années ont montré à quel point les risques budgétaires peuvent être coûteux. Collectivement, nous venons de traverser l’un des plus grands chocs d’une génération. La pandémie de COVID 19 a eu de profondes répercussions sur les populations, les économies et les finances publiques mondiales.
Dans bon nombre de pays, la dette publique plafonne pour atteindre des niveaux jamais vus auparavant. En fait, la pandémie a contribué à la plus forte augmentation sur un an de la dette publique mondiale en 50 ans. Cette augmentation de la dette a été en grande partie causée par une tournure d’événements inattendue, ou ce que nous appelons des risques budgétaires.
Après deux crises majeures, la dette publique totale s’élève désormais à environ 100% du PIB mondial. Soit un niveau jamais vu depuis le plus fort de la Seconde Guerre mondiale.
Et maintenant, les pays sont confrontés à de nouveaux risques résultant de la guerre en Ukraine. Avec le déplacement de personnes en Europe et la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie partout. Dans le même temps, les pays sont également aux prises avec des défis posés par le changement climatique. Notamment une fréquence et une gravité accrues des catastrophes naturelles.
Mais, à bien voir, les événements extrêmes, les chocs institutionnels, les crises ne sont pas les seules causes des risques. Les risques de mal-gouvernance budgétaire deviennent une réalité qui caractérise tous les pays qui n’ont pas modernisé leur gouvernance.
Ces risques peuvent découler de: la volatilité des prix des matières premières; l’impact du coût de biens importants dans le budget; ou des décisions de renflouer des entreprises publiques en difficulté; et encore des appels aux garanties gouvernementales.
Les recherches du FMI ont montré qu’en moyenne, les pays font face à des chocs macroéconomiques critiques environ une fois tous les 12 ans. Chacun entraînant des coûts budgétaires d’environ 6% du PIB. C’est important et c’est maléfique pour les sociétés. Cela souligne à quel point il est important que les pays comprennent la nature et l’ampleur des risques auxquels ils sont confrontés et prennent des mesures pour les gérer.
Démarche pour la gestion des risques budgétaires
Que peut donc faire le gouvernement tunisien pour mieux gérer les risques budgétaires?
Tout d’abord, le gouvernement doit identifier leurs expositions aux risques budgétaires et hiérarchiser ceux qui sont les plus importants.
Deuxièmement, il doit essayer de quantifier l’ampleur des conséquences liées à ces risques, avec leur probabilité d’occurrence.
Troisièmement, les décideurs doivent déterminer si des mesures doivent être prises pour atténuer les expositions aux risques.
Par exemple, en imposant des plafonds aux régimes de garantie ou en réglementant certaines activités, le gouvernement peut créer des provisions et réserves budgétaires pour faire face aux risques. De même, certains pays choisissent d’inclure des rubriques pour risques et imprévus dans leur budget pour le coût des événements prévus. D’autres mettent en place des fonds de stabilisation avec des actifs dédiés, auxquels ils peuvent faire appel en temps de crise. Enfin, il est important que les risques soient signalés de manière transparente.
La Tunisie peut aussi légiférer et imposer la conduite d’analyses du risque budgétaire dans toutes les institutions de l’État.
La divulgation des risques budgétaires connus peut contribuer à renforcer la crédibilité et envoyer le signal que les gouvernements sont non seulement conscients de ces risques; mais qu’ils prennent également des mesures pour les gérer.
Le code et le manuel de transparence du FMI fournissent des conseils utiles. Dans le même temps, ces pratiques devraient être intégrées dans le cadre plus large de la gestion des finances publiques. Cela signifie intégrer les décisions dans le processus budgétaire annuel. Ce qui permet de s’assurer que les décideurs sont informés des coûts attendus des interventions lorsque des décisions sont prises; et que ces coûts sont inclus dans la planification budgétaire. Cela signifie également tenir compte des risques budgétaires dans la conception des règles budgétaires. Et veiller donc à ce que des systèmes soient en place pour surveiller l’évolution des risques dans le temps. Il va sans dire que les pays qui ont mis en place de saines pratiques de gestion des risques budgétaires sont mieux à même de surmonter les crises lorsqu’elles surviennent.
Que recommande le FMI?
Décider sur quels risques se concentrer peut-être intimidant et complexe! Alors, par où commencer? Le FMI a lancé un nouveau portail de gestion des risques budgétaires, un guichet unique où les pays peuvent accéder à ces ressources et outils. Il comprend une plateforme de connaissances, qui rassemble les orientations du FMI, les dernières recherches et des exemples de pays.
Le FMI a mis aussi en œuvre une nouvelle boîte à outils sur le risque budgétaire, qui fournit une base pratique pour aider les pays à identifier, évaluer, gérer et divulguer différentes sources de risques. La boîte à outils comprend un certain nombre de modèles basés sur des logiciels statistiques (comme XML) pour aider à identifier les risques budgétaires les plus importants et les plus importants et à quantifier et leurs impacts fiscaux potentiels.
Ces outils peuvent être adaptés pour correspondre aux capacités d’un gouvernement et à la situation du pays. L’outil d’évaluation des risques budgétaires est un bon point de départ pour les gouvernements qui découvrent la gestion des risques budgétaires. Les outils sont intuitifs et comportent un questionnaire focalisant 14 différents risques budgétaires pour soutenir l’analyse; y compris l’environnement macroéconomique, les garanties et d’autres sources.
L’outil aide aussi à mieux comprendre l’exposition du pays aux risques. Et ce, afin qu’il puisse hiérarchiser les efforts de surveillance et de gestion des risques. Il fournit également des comparaisons mondiales et régionales qui peuvent être utiles pour évaluer l’exposition du pays au risque.
La boîte à outils du risque budgétaire contient également plusieurs autres outils pour soutenir une analyse plus approfondie de risques spécifiques. Tels que les entreprises publiques, les garanties et les prêts publics, les partenariats public-privé et les pandémies. Par exemple, les outils d’entreprise appartenant à l’État peuvent vous aider à évaluer les vulnérabilités et les risques dans l’ensemble du secteur. L’outil de bilan de la santé budgétaire fournit une analyse de haut niveau qui peut être utilisée pour identifier les entités qui peuvent nécessiter une attention particulière. Alors que l’outil de test de résistance permet au pays de creuser un peu plus et d’évaluer la résilience d’une entité particulière dans différents scénarios. Ainsi que de quantifier les coûts fiscaux qui peuvent en découler.
La Tunisie doit rattraper son retard sur ce plan. La systématisation de l’analyse des risques budgétaires doit mériter une attention particulière. De même qu’elle doit figurer dans les priorités de la modernisation de la gouvernance et de la restriction de la gestion budgétaire de manière générale.