La réélection d’E. Macron était attendue et a été vécue dans un mélange de sentiments de soulagement et de frustration. En effet, d’un côté, le soulagement a prévalu au soir du 2e tour la présidentielle, car face au président sortant, Marine Le Pen proposait d’établir un ordre fasciste sur la base d’un programme aussi xénophobe qu’inconstitutionnel. De l’autre, l’élection d’E. Macron est source de frustration. En effet, elle consacre l’image d’un président décalé. Pas en phase avec une partie substantielle de la population, les jeunes et les classes populaires en particulier. Un problème pour celui qui est censé incarner le « représentant de la nation »… Surtout, cette élection présidentielle a consacré une montée inexorable de l’extrême-droite en France.
Les ressorts de l’élection d’E. Macron sont autant de sources de faiblesse de son nouveau mandat. Certes, le président sortant a été réélu avec 58,8% des voix. Mais, grâce à un « front républicain » qui a de nouveau fait barrage à Marine Le Pen. Aussi, le second tour de la présidentielle fut-il marqué par les indices d’une défiance citoyenne prégnante et croissante, sur fond de rejet d’un duel Macron-Le Pen qui a pris les allures de scénario écrit d’avance et de non-choix démocratique.
Macron : une réélection à la Pyrrhus ?
Partant, non seulement l’abstention a atteint des sommets pour un scrutin présidentiel. Mais plus de trois millions de personnes ont voté blanc ou nul. Soit, au total, près de 16 millions de votes non exprimés, un nouveau record. D’ailleurs, non seulement le programme d’E. Macron est rejeté par une majorité de la population; mais les Français souhaitent une cohabitation pour équilibrer le pouvoir.
En outre, Marine Le Pen a totalisé 41,2% des voix, soit huit points de plus qu’en 2017. Ainsi, elle a réuni plus de 13 millions de voix. Marine Le Pen s’est même félicitée d’une « éclatante victoire ». Un paradoxe apparent, car derrière sa défaite électorale, l’extrême droite a atteint en France un niveau inédit.
Une nette progression de la candidate d’extrême droite, qui conforte le sentiment d’avoir assisté à une victoire à la Pyrrhus pour le président réélu. Une victoire fondée sur une faible assise électorale et sociale; forte d’idées minoritaires dans le pays et dépourvue de tout élan. Ce au terme d’une campagne particulièrement pauvre sur le plan programmatique.
En cela, l’élection écrasante de ce président est à l’image d’un régime, la Ve République, dont la solidité des institutions contraste avec la faiblesse de sa vitalité démocratique. Au lieu d’ouvrir un nouveau champ des possibles et d’impulser une nouvelle dynamique politique, l’élection présidentielle risque ainsi de renforcer une crise de la « représentativité des représentants » et de creuser le sentiment de vide politique.
La montée en puissance de l’extrême droite en France
Aussi, autre paradoxe de cette élection, si la victoire du président sortant doit beaucoup à un rejet de l’extrême droite, la campagne présidentielle a mis en lumière une extrême droite en dynamique qui vient consacrer la normalisation de son discours et de ses idées.
Derrière la victoire électorale, arithmétique, officielle d’E. Macron, se terre une victoire symbolique, idéologique, officieuse du couple Le Pen-Zemmour. A savoir: celle de la normalisation des idées et des forces d’extrême droite. Celles-là même que le président Macron s’était engagé à combattre et à défaire en 2017. Sa défaite culturelle est ici cuisante. Sauf à penser qu’il s’agissait précisément, cyniquement, du but recherché par l’heureux élu : une candidature d’extrême droite au second tour n’est-elle pas la meilleure garantie d’une victoire finale?
Si la dédiabolisation de Marine Le Pen s’inscrit dans un long processus, celui-ci bénéficia à la fois de la figure radicale-repoussoir d’E. Zemmour et de l’alignement de la candidate de la « droite républicaine » sur une partie de la rhétorique d’extrême-droite.
Une dédiabolisation « boostée » par un paysage médiatique qui s’est lui-même droitisé sous l’effet du poids conjugué de propriétaires milliardaires et de polémistes professionnels. Zemmour comme Le Pen ont été « normalisés » par trop de journalistes politiques. Ces derniers se soumettant à l’exercice du service après-vente d’une stratégie de dédiabolisation mûrement réfléchie.
Bref, derrière la défaite électorale, les digues sautent les unes après les autres et Marine Le Pen et ses affidés continuent sa marche vers le pouvoir. Car derrière la victoire de la bataille culturelle, ce sont les portes du pouvoir politique qui s’ouvrent irrémédiablement …