Le décret-loi du jeudi 21 avril par le président de la République Kaïs Saïed amendant et complétant la loi organique régissant l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) passe très mal en Tunisie et à l’étranger. Où l’on soupçonne le pouvoir en place de menacer l’indépendance de cette instance constitutionnelle. Laquelle a en charge de superviser le bon déroulement des futurs rendez-vous électoraux.
Encore un carton jaune brandi au visage du chef de l’État, Kaïs Saïed, par la communauté internationale. Car, sa décision, très controversée, d’amender la loi de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) en changeant sa composition, a été perçue en interne et à l’étranger comme une mainmise sur l’instance électorale. Et ce, à quelques mois des prochaines élections législatives prévues en décembre prochain. D’autant plus que la décision présidentielle a été prise et concoctée dans le secret absolu à Carthage via un décret-loi signé jeudi 21 avril et paru ipso facto le lendemain au Journal Officiel. Comme s’il y avait urgence !
En effet, Kaïs Saïed qui accapare pratiquement tous les leviers du pouvoir depuis le coup de force « soft » du 25 juillet, est fortement soupçonné aussi bien par ses détracteurs à l’intérieur que par les chancelleries occidentales de s’être arrogé le droit de nommer trois des sept membres de l’ISIE dont son président. Et ce, pour peser sur les futurs scrutins, dont le référendum prévu le 25 juillet et les élections législatives au mois de décembre que cette instance doit superviser.
L’avertissement de l’Union européenne
Or, on ne touche pas impunément aux règles du jeu au milieu de la partie.
Ainsi, après la réaction indignée du département d’État et du porte-parole de l’ONU, c’est au tour de l’Union européenne de se prononcer sur le décret de réforme de l’ISIE. Lequel « risque de réduire son indépendance à un moment politique important et peu avant des rendez-vous électoraux clés pour la Tunisie ». C’est ce que relève mercredi 27 avril, la porte-parole de l’Union européenne.
« L’indépendance de l’ISIE est un élément crucial pour garantir la crédibilité d’un processus électoral qui a vocation à aboutir à un retour à la normalité institutionnelle dans le pays ». Ainsi ajoute la même source. « Nous suivrons avec la plus grande attention les nominations de ses futurs membres pour qu’elles restent un gage du maintien de son indépendance et de sa capacité d’exécuter son mandat en toute transparence ». Lit-on dans le communiqué de l’UE.
En termes diplomatiques, l’UE insiste également sur « l’importance de la mise en œuvre de toute réforme; ainsi que du calendrier électoral sur la base d’un dialogue inclusif de tous les acteurs politiques et sociaux ». Une énième mise en garde contre le penchant présidentiel à continuer à légiférer par décrets-lois au mépris de tout « dialogue inclusif ».
Washington monte au créneau
Faut-il rappeler à cet égard que Washington a fait part, mardi 26 avril en cours, de sa « vive inquiétude » face à la décision « unilatérale » du président tunisien de restructurer l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) en Tunisie.
En effet, rappelant que l’existence d’une Instance supérieure indépendante pour les élections est « extrêmement importante » eu égard au rôle constitutionnel qui lui est confié dans l’organisation du référendum et des prochaines élections législatives en Tunisie, le porte-parole du Département d’Etat, Ned Price a averti sèchement que son pays « n’a cessé d’informer les responsables tunisiens de la nécessité de préserver l’indépendance des principales institutions démocratiques et de garantir le retour du pays au régime démocratique ».
Et d’adoucir le ton: « Tout en réaffirmant la détermination des Etats-Unis à se tenir aux côtés du peuple tunisien dans son processus démocratique »; le porte-parole a réitéré l’appel de Washington « à entamer en Tunisie un processus de réforme politique et économique transparent et inclusif qui associe la société civile, les syndicats et les partis politiques ».
Plus virulente était la réaction du président du Comité des Affaires étrangères du Sénat des États-Unis, l’influent républicain Jim Risch. Lequel a estimé dans un tweet publié samedi dernier, que l’amendement de l’ISIE s’inscrit dans le cadre du « démantèlement méthodique des institutions démocratiques de la Tunisie. Et que cela menace les relations diplomatiques entre les deux pays ». Une menace que Carthage a tout intérêt à prendre au sérieux.
Mise en garde de l’ONU
Fait rare, l’Organisation des Nations Unies a pour sa part mis en garde, vendredi 22 avril, contre « l’éloignement » de la Tunisie de la démocratie, mettant l’accent sur l’importance du dialogue entre les différents protagonistes locaux.
Ainsi, en réponse à la question de l’un des journalistes au sujet de l’amendement de la loi organique relative à l’ISIE, la porte-parole associée du SG de l’ONU, Eri Kaneko, a formulé l’espoir de voir « un dialogue tunisien de nature à ce qu’il soit permanent ». « La poursuite d’un tel dialogue sera à même d’éviter l’enlisement de la Tunisie dans un processus qui l’éloignera de la démocratie », a-t-elle poursuivi.
Un match truqué d’avance
En résumé, aux yeux de l’étranger, en amendant la loi de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) et en changeant la composition de ses membres, le président de la République a mis de facto en place une instance électorale docile au mépris du principe sacro-saint de l’indépendance de l’instance constitutionnelle chargée de superviser les élections. Bref, Kaïs Saïed serait à la fois le joueur, l’adversaire et l’arbitre d’un match dont le résultat serait connu d’avance.