Grandeur et décadence ! Hier courtisée et adoubée par les marchés, aujourd’hui rejetée au banc des nations faillies. La Tunisie ne mérite pas un tel affront. En un peu plus de dix ans, elle a enduré d’énormes difficultés et subi les pires humiliations.
Le pays a bu la coupe jusqu’à la lie. Auréolé jadis de son statut de grade investissement, la Tunisie se retrouve, en l’espace de 10 ans, au rang de pays à haut risque. Il n’inspire plus confiance et suscite même davantage de défiance à mesure qu’il est régulièrement sanctionné par les agences de notation, qui l’ont rétrogradé au plus bas de l’échelle, pas loin des pays parias.
On était loin d’imaginer, aux lendemains de la révolution, que les conquêtes de libertés allaient tourner au désastre économique et financier. L’État, est dévasté par les querelles politiques et la fronde syndicale, peine à relancer la production. Il est réduit à la mendicité internationale, dont on a vite fait d’en percevoir les limites.
Nécessité fait loi : il faut plier l’échine et s’aventurer à frapper aux portes du FMI, passage obligé pour contourner l’indifférence, sinon l’hostilité des marchés. L’ennui est que le recours au FMI n’offre pas de véritables issues de sortie de crise. Tant nos fondamentaux sont gravement et irrémédiablement altérés.
« Le pays a bu la coupe jusqu’à la lie. Auréolé jadis de son statut de grade investissement, il se retrouve, en l’espace de 10 ans, au rang de pays à haut risque »
L’atonie de la croissance au sortir de la crise sanitaire – à l’inverse de la reprise de l’économie dans le monde -, aggravée aujourd’hui par l’onde de choc de la guerre en Ukraine, est venue s’ajouter aux méfaits et aux dégâts hérités d’une gestion chaotique de l’économie et des finances publiques.
Dès lors, l’injection de capitaux étrangers sous forme de nouveaux emprunts n’est pas de nature à stimuler l’investissement et l’innovation. Elle est sans réel soutien pour les entreprises. Sauf à redresser énergiquement la barre et engager dans l’immédiat les nécessaires réformes structurelles. Il n’y a que pour les dépenses courantes de l’État, au mépris des investissements publics d’avenir.
La part des rémunérations dans la Fonction publique crève tous les plafonds, à près de 45% du budget et plus de 16% du PIB. Au mieux, c’est un scandale d’État, au pire, un crime dont sont déjà victimes les jeunes et les générations à venir.
A défaut d’une croissance forte et durable pour atténuer le poids d’une dette devenue insoutenable, il faut emprunter pour rembourser les crédits antérieurs. Le cumul service de la dette-salaires plombe le budget de l’État, privé de surcroît de marge de manoeuvre à cause de l’explosion des dépenses de subvention.
« La part des rémunérations dans la Fonction publique crève tous les plafonds, à près de 45% du budget et plus de 16% du PIB »
En d’autres temps, on aurait été en droit de passer par la case FMI – c’est sa mission – sans qu’on ait à répondre de notre incapacité à mettre davantage de rationalité et de rigueur dans notre mode de gouvernance. Ni qu’il faille s’employer au plus vite à mettre de l’ordre dans la maison Tunisie, qui se lézarde de partout et vacille sur ses bases fracturées.
Les responsables en charge des négociations avec le FMI n’ont pas le beau rôle. Ils évoluent, en dépit de leur détermination, dans un terrain miné par les promesses, plus d’une fois non tenues, de leurs prédécesseurs.
Depuis, la situation s’est gravement détériorée. Les déficits se sont accrus et dépassent leur seuil d’alarme. Les prix se sont envolés, autant que nos illusions. L’investissement n’est pas loin du niveau zéro, l’épargne appartient au passé et le spectre de la faillite et du défaut de paiement hante tous les esprits.
Le pays, plus divisé que jamais, s’enfonce dans une crise globale et multiforme, dont on ne voit pas l’issue. Le vide constitutionnel, l’affrontement politique et le raidissement syndical menacent de mettre le feu aux poudres.
La stagflation s’installe pour longtemps, sans que ses effets nocifs sur la fracture sociale ne fassent calmer l’ardeur revendicatrice des syndicats, plus que jamais déterminés à ne rien concéder, au risque de jeter de l’huile sur le feu. Ils revendiquent, en ces temps de disette, de chômage généralisé, d’absence de sources de financement, plus que des droits, des privilèges que l’État ne peut ni ne doit leur accorder. Sauf à enclencher une spirale inflationniste qui emporterait tout sur son passage.
« Le pays, plus divisé que jamais, s’enfonce dans une crise globale et multiforme, dont on ne voit pas l’issue »
Les héritiers de Hached doivent se souvenir et retrouver leurs fondamentaux. Loin d’eux : la tentation de planter le dernier clou dans le cercueil de l’économie et du pacte social.
Nos émissaires à Washington, à l’occasion de la réunion de printemps du FMI et de la BM, le ministre de l’Economie et de la Planification et le gouverneur de la BCT, épaulés à distance par la ministre des Finances, se sont employés à vouloir convaincre de leur détermination d’engager les réformes structurelles exigées par leurs interlocuteurs.
Le plus frustrant est qu’ils s’en seraient bien passés, dès lors qu’ils en revendiquent la paternité, convaincus qu’ils sont de la nécessité de ces réformes. Le comble est que l’accord avec le FMI – si accord il y a – profiterait en premier à ceux qui s’obstinent dans le refus de parvenir à un quelconque accord aux conditions de ce dernier, mais qui sont, en fait, en cohérence avec nos politiques publiques et sectorielles dont on parle si peu. Les seigneurs du FMI ne disent rien d’autre que nous n’ayons dit et justifié sur tous les tons.
En l’espèce, la Tunisie demande au mieux quatre milliards de dollars, pas assez pour couvrir l’ensemble de nos besoins de financement et à peine ce qu’il faut pour soulager momentanément la paie des fonctionnaires et les dépenses de soutien à la consommation.
Il se trouve que des voix syndicales, sans être démenties par la centrale, exigent le paiement des salaires à temps, primes comprises, tout en se refusant à toutes les réformes structurelles et transformations des entreprises d’État par qui, souvent, le scandale arrive.
« Le comble est que l’accord avec le FMI – si accord il y a – profiterait en premier à ceux qui s’obstinent dans le refus de parvenir à un quelconque accord… »
Peut-on nous autoriser, au risque de heurter notre conscience collective, à faillir à nos responsabilités, à ne pas stopper l’hémorragie des finances publiques, à ne pas mettre fin à la dégénérescence de quelques entreprises d’État au mode de gouvernance suicidaire ?
L’État lui-même, hypertrophié jusqu’à la paralysie, n’est pas exempt de reproches. Il doit se réformer et retrouver le sens de l’efficacité et de la rationalité économique. Dans un cas comme dans l’autre, il y va du rôle de l’État et de la notion même de service public. Un État stratège et prestataire de services ou fabricant de rentes. A croire que les rentiers ne sont pas ceux que l’on dénonce ! L’armée de fonctionnaires serait la principale source de la détérioration du… pouvoir d’achat.
Les facilités de caisse, en attendant de s’ouvrir sur de nouvelles perspectives d’emprunts extérieurs en cas d’accord avec le FMI, ne vont pas préparer le pays à des lendemains meilleurs, en l’absence d’une reprise de la productivité et de la production. Nous devons choisir entre l’investissement et la consommation, entre les importations et les exportations, entre un dinar fort et une monnaie faible, à l’image du pays. Choisir entre le présent incertain et l’avenir inconnu.
De ce choix naîtront le doute, la résignation et le déclin ou, en revanche, l’ambition, la volonté et la détermination pour un redressement salutaire. Notre indépendance, notre souveraineté et notre dignité en dépendent.