Dans une interview accordée à TV5 Monde, notre confrère algérien, Khaled Drareni, le représentant de l’ONG Reporters Sans Frontières pour l’Afrique du Nord, dresse un tableau sombre de la situation « préoccupante » de la liberté de presse dans les trois pays du Maghreb. En voici quelques extraits.
Annus horribilis pour la liberté de la presse en Tunisie. Et pour cause, avec: 17 journalistes traduits en Justice; plus de 105 cas de violation du droit d’accès à l’information; 27 agressions physiques; 12 détentions abusives; et plus de 64 agressions physiques et verbales par les forces de l’ordre.
En effet, l’année en cours (avril 2021-avril 2022) n’a pas été tendre pour les journalistes tunisiens. « Il s’agit de l’année la plus difficile pour les journalistes depuis cinq ans ». C’est ce qu’annonce d’ailleurs le Syndicat national des Journalistes tunisiens (Snjt). En diffusant, mardi 3 mai, un spot choc. Il est fait de témoignages de journalistes qui racontent leurs calvaires face aux autorités qui ne les laissent pas faire leur travail.
Dégringolade
Faut-il rappeler à cet égard qu’à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’ONG internationale Reporters sans frontières a publié, mardi 3 mai 2022, son classement mondial de la liberté de la presse dans le monde. Où l’on découvre avec effroi, mêlé de tristesse, que notre pays a dégringolé de 21 places en une seule année. Se classant désormais au 94ème rang sur 180 pays, juste devant le Botswana. Et ce, après avoir été classée 73ème en 2021.
Une régression spectaculaire donc que Reporters Sans Frontières explique par les effets des mesures exceptionnelles prises par le président de la République, Kais Saïed, le 25 juillet précédent.
Faut-il se consoler en rappelant que selon le même classement établi par cette ONG, nos voisins ne se portent pas mieux. Puisque l’Algérie figure à la 134ème place, talonnée par le Maroc classé à la 135ème place. Alors que la Libye ferme la marche en queue de peloton à la 143ème place.
« La Tunisie, la seule démocratie relative de la région », mais…
Alors, comment expliquer ce triste état des lieux des pays maghrébins en matière de la liberté de presse?
A cet égard, Khaled Drareni 42 ans, journaliste algérien, militant pour la liberté de la presse et représentant de l’ONG Reporters Sans Frontières pour l’Afrique du Nord, s’est confié hier mardi à nos confrères de TV5 Monde. Il propose une analyse de la situation de la liberté de la presse au Maghreb, jugée « préoccupante ».
« La Tunisie, affirme le représentant de l’ONG Reporters Sans Frontières, reste la seule démocratie relative de la région. Mais le pays recule. Et ce, depuis le coup de force du 25 juillet.
Les conséquences sont claires. Certes, le régime politique en Tunisie a beaucoup évolué vers davantage de liberté en comparaison avec les pays voisins. Mais depuis le coup de force du président, il y a une restriction claire sur la ligne éditoriale des médias publics, et sur certains médias privés ».
Et d’expliquer: « Il y a une plus grande facilité à arrêter des journalistes, à les mettre en garde à vue et même en prison, comme on l’a constaté ces derniers mois. De manière générale, si on devait comparer avec les autres pays de la région, on peut dire que la liberté de la presse se porte beaucoup mieux en Tunisie que dans les autres pays du Maghreb; malgré un très grand nombre d’imperfections et de problèmes ».
Algérie: tout est relatif
Et que penser de la surprenante progression de l’Algérie qui gagne douze points pour passer de la 146ème à la 134ème place?
« Comme pour le recul de la Tunisie, la progression de l’Algérie s’explique par la méthodologie. Elle monte car d’autres pays descendent. Cela ne veut pas dire que la situation de la liberté de la presse s’est améliorée, bien au contraire.
En Algérie, on arrête toujours les journalistes, parfois pendant l’exercice de leurs fonctions.
Au moment où je vous parle, il y a trois journalistes en prison en Algérie, dont deux toujours en attente de procès. Il y a toujours des sites internet bloqués; il y a toujours des journalistes et des correspondants étrangers sans accréditation.
Depuis plus d’une année, le code de l’Information n’a toujours pas été adopté par le gouvernement. Il est toujours renvoyé pour être retoqué.
La situation de la liberté de la presse en Algérie reste donc extrêmement préoccupante. Et ce, que ce soit pour les médias de la presse publique que pour les médias de la presse privée », souligne le journaliste algérien.
Y a-t-il une perspective d’amélioration en Algérie? Pour Khaled Drareni « il y a toujours évidemment cet espoir que les autorités algériennes comprennent qu’il ne peut y avoir de cadre moderne et démocratique sans presse libre et indépendante.
Il y a encore des journalistes algériens qui ont le courage de travailler librement et de se battre; malgré la situation très inquiétante.
Il reste toujours espoir en Algérie pour que la presse redevienne ce qu’elle était dans les années 90. C’est à dire une presse indépendante qui pouvait travailler malgré les pressions et malgré les difficultés politiques et économiques. Mais cette année 2022 a été quasiment endeuillée par la disparition du journal Liberté qui était l’un des fleurons de la presse écrite algérienne. Il disparaît après 30 ans d’existence pour des problèmes économiques; mais aussi pour des problèmes politiques ».
Situation « très, très préoccupante » au Maroc
Enfin, s’agissant de la situation pas très reluisante en matière de liberté de la presse au Maroc. Alors que le pays gagne néanmoins une place, passant de la 136ème à la 135ème position sur 180, le militant algérien pour la liberté de la presse affirme « qu’elle est même très, très préoccupante ».
« Il y a beaucoup de journalistes en prison. Il y a notamment Soulaimane Raissouni et Omar Radi qui n’ont que trop souffert. Et ce, uniquement pour avoir fait leur travail de journaliste et pas du tout pour des accusations farfelues pour lesquelles ils sont enfermés », s’enflamme le journaliste algérien. Sachant que le premier a été condamné fin février à cinq ans de prison pour « agression sexuelle » Tandis que Omar Radi était condamné en mars à six ans de prison dans une double affaire de « viol » et « d’espionnage ».
« Ces journalistes doivent être libérés. Car ils sont en prison parce qu’ils sont journalistes et pour aucune une autre raison », conclut-il.