Paradoxe. Comment expliquer que le nombre de personnes ayant participé, dimanche dernier, à la manifestation organisée par les partisans du président de la République, Kaïs Saïed, devant le Théâtre municipal de Tunis soit si maigre? La presse étrangère parle de centaines de manifestants. Alors que le ministère de l’Intérieur se mure dans un silence assourdissant.
Réponse du secrétaire général de l’UPR, Lotfi Mraïhi: « Le vrai poids de Kaïs Saïed est désormais visible », ironise-t-il, sur les ondes d’une radio locale. En allusion à la mobilisation loin d’être imposante, c’est le moins que l’on puisse dire, de ses partisans au centre de la capitale.
Et comment expliquer que, le lendemain de cette manifestation, et selon le dernier sondage d’Emrhod Consulting publié lundi 9 mai 2022, le président de la République, Kaïs Saïed, bien qu’il ait perdu quatre points des intentions de vote par rapport au mois précédent, caracole en tête pour le premier tour de la Présidentielle. Et ce, avec un insolent 72% des intentions de vote. De là à s’interroger: faut-il croire les sondages ou se fier à la réalité de la rue? Vaste débat.
Pour une justice populaire?
Toujours est-il que des centaines de personnes se sont rassemblées dimanche 8 mai devant l’emblématique Théâtre municipal de Tunis. Elles venaient de différentes régions de la République pour répondre à l’appel des coordinations qui soutiennent le projet présidentiel. Lesquelles ont probablement drainé ce beau monde vers la capitale via le transport public; et ce, aux frais du contribuable.
Objectif: soutenir pêle-mêle le projet présidentiel, le processus du 25 juillet, un régime présidentiel et le départ des partis politiques qui ont gouverné depuis 2011. Mais surtout pour inciter le chef de l’Etat à poursuivre en justice tous ceux qui ont porté atteinte à l’Etat durant la dernière décennie.
Ni référendum, ni dialogue et encore moins des élections avant la responsabilisation. Tels étaient les slogans soulevés par les participants à cette manifestation. Lesquels chantaient la volonté du peuple « acha3bou yourid », revendiquaient l’indépendance du pays. Mais aussi s’opposaient à toute forme de « trahison » et de « complot » de la part de certains partis politiques au profit «des forces étrangères ». Tout en réclamant la responsabilisation immédiate et « l’accélération des affaires qui traînent dans la justice ». Enfin, ces pancartes et ces slogans accusaient le leader historique du parti islamiste d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, de « complotisme » et de « terrorisme ». Ainsi que «d’avoir vendu le pays moyennant quelques dollars ».
A signaler que cette manifestation se veut également une réponse au Front de salut national. Sachant que son initiateur, Ahmed Nejib Chebbi, accuse publiquement le chef de l’Etat, Kaïs Saied. Et ce, de planification en vue de dissoudre les partis politiques existants et d’arrêter les leaders politiques pour les placer en résidence surveillée.
Au secours, les traîtres sont partout !
Mais, le fait marquant de cette manifestation pro-Saïed reste la visite à pied au niveau de l’avenue Habib Bourguiba effectuée par le ministre de l’intérieur, Taoufik Charfeddine. « Vous serez surpris par le nombre de traîtres », a-t-il déclaré, énigmatique, aux médias en marge de la manifestation.
De qui s’agit-il? De traîtres ayant commis des crimes à l’encontre de la Tunisie et de l’argent public. Plus grave: « Il s’agit de présidents de partis, d’organisations et de personnalités ayant occupé de hautes responsabilités au sein de l’État. Ils ont spolié l’argent public et ils ont vendu la Tunisie. La Justice fera son travail », prévient-il.
Ces déclarations dans la bouche du ministre de l’Intérieur, un proche parmi les proches du Président, sont gravissimes.
« Car, Kaïs Saïed possède entre ses mains tous les leviers du pouvoir depuis neuf mois, notamment le pouvoir judiciaire. S’il détenait des dossiers compromettants et d’une telle gravité contre « des présidents de partis, d’organisations et de personnalités ayant occupé de hautes responsabilités au sein de l’État ». Alors qu’attend-il pour les traduire devant la Justice? Ou s’agit-il encore et encore de paroles en l’air? »
Et que dire du Gouverneur de Tunis, chaleureusement accueilli par un groupe de manifestants qui ont même pris quelques photos avec lui?
Deux poids, deux mesures
Bizarre. Le même Gouverneur, un ami personnel de longue date du locataire du palais de Carthage, n’avait-il pas interdit auparavant les manifestations sur cette artère emblématique de la capitale. Et ce, sous prétexte que l’avenue Habib Bourguiba sera désormais consacrée seulement à des événements culturels et sportifs? Deux poids, deux mesures. La IIe République a encore de beaux restes.