Nejib Chebbi annonçait récemment, lors d’une conférence de presse, que Kaïs Saïed s’apprêtait à interdire certains partis politiques, et particulièrement, le parti Ennnahdha de Rached Ghannouchi.
Des journaux de la place ont publié des articles, annonçant, selon des sources proches du palais, que le Président de la République publierait un décret, définissant un code électoral qui empêcherait, toute personne ayant appartenu à une formation qui aurait reçu de l’argent de l’étranger, lors de la dernière campagne électorale de 2019, ou pour toute opération de lobbying en dehors de la Tunisie, de se présenter aux futures élections qui auront lieu en décembre prochain. Le Mouvement Ennahdha serait-il alors dans le viseur présidentiel?
Or l’on sait que la Cour des comptes avait publié un rapport prouvant que le parti islamiste et d’autres formations ou personnalités politiques avaient reçu de l’argent de l’étranger. Ce qui les mettraient sous le coup de la future loi électorale. Sauf que la même Cour des comptes avait aussi épinglé KS lui même, pour des pages facebbok sponsorisées à partir de l’étranger, mais parions que le futur décret ne le couvrira pas.
KS hostile à tous les partis politiques
D’autre part KS n’a jamais fait mystère de son hostilité manifeste à tous les partis politiques, sans exception. Faisant sien, l’ancien slogan lancé par feu Khaddafi: « Est traître, toute personne qui adhère à un parti politique ». Cela faisait plier de rire à l’époque tous les Tunisiens, car notre pays depuis le début du vingtième siècle, ne vit qu’au rythme des partis politiques. Et même à l’époque du parti unique, il comptait des partis interdits comme le parti communiste, ou clandestins comme Perspectives, El Baath, la Tendance Islamiste (Ennahdha).
C’est dire que politique rimait et rime toujours chez nous avec encartement dans une organisation partisane. C’était et c’est toujours le signe que le pays est engagé à fond dans la modernité politique. Et le nihilisme de KS, concernant ce fait indéniable de notre histoire, ne changerait rien à la donne.
D’ailleurs, il avait même annoncé sans rire que l’humanité a dépassé l’ère de la démocratie des partis et annonçait une nouvelle ère de « démocratie directe ». Ignorant que cette « nouvelle doctrine » est aussi vieille que l’anarchisme et Plékhanf.
Ennahdha n’est pas un parti politique
Tout d’abord rappelons que les Frères musulmans eux-mêmes étaient hostiles depuis 1926, date de leur création en Egypte des partis politiques, à toute forme de démocratie qu’ils jugeaient comme une création des mécréants occidentaux. Leur section tunisienne représentée essentiellement par Rached Ghannouchi, est une jamaa islamiya. Littéralement une « communauté musulmane »; pour la distinguer du reste de la communauté nationale, composée de non musulmans selon eux. C’est du moins leur crédo de base. Ce qu’exprime leur texte fondateur, qu’ils n’ont jamais dénoncé et qu’ils continuent à vénérer en secret. Ainsi, l’appartenance à cette communauté se fait après un serment d’allégeance fait à l’Imam, le chef de la communauté. Chez nous, Rached Ghannouchi en personne, qu’on nomme « el bay3a ».
Mais pour des raisons tactiques, les Frères musulmans ont consenti à créer des partis politiques. Et ce, en vue de conquérir le pouvoir par les urnes. Afin d’appliquer leur projet d’un Etat religieux qui applique strictement la charia, une fois qu’ils ont contrôlé complètement les rouages de l’Etat. Ce qu’ils ont carrément fait chez nous pendant dix ans, sans interruption. Cette phase est appelée « altamkin » (l’inféodation de l’Etat).
D’ailleurs, alors qu’il est strictement interdit selon leur credo de quitter la jamaa, il leur est permis de quitter le parti politique légal ou d’en créer un autre. Ce que fait actuellement Abdellatif El Mekki, qui est loin d’avoir rompu son serment d’allégeance à Rached Ghannouchi. Mais il tente de créer un autre parti, qui serait visiblement la bouée de sauvetage pour les islamistes. Sachant que leur parti Ennahdha a bien coulé sans ou grâce à Kaïs Saïed.
C’est même à Abir Moussi que revient le mérite d’avoir torpillé le vaisseau Ennahdha et d’avoir mis à mort politiquement son capitaine.
De toute façon, ce qui ferait mal aux islamistes tunisiens, toutes sectes confondues, ce n’est pas d’interdire leurs partis, mais c’est surtout de les empêcher d’être dans la future assemblée. Ce que visiblement KS a compris et tente de faire, sans passer ainsi par la phase dissolution. Laquelle serait contre productive car elle leur permettrait de se poser en victime. Alors que tout le monde sait qu’ils n’ont jamais respecté aucune loi de la République. Et que dans n’importe quel autre pays du monde démocratique ils auraient été dissous.
Pourtant, l’affaire de « l’aile secrète », structure clandestine et para-militaire de ce parti, qui moisit dans les couloirs des tribunaux, malgré toutes les preuves accumulées par l’appareil judiciaire, sans parler des rapports de police, aurait bien suffit pour ordonner la dissolution de cette organisation.
Mais il est clair, et ceci a été déclaré maintes fois par KS lui même, et malgré la nomination d’un haut conseil de magistrature, que le système judiciaire tunisien échappe encore totalement au Président de la République. Et il ne s’est jamais privé de le déclarer.
D’où la solution de contourner le problème en recourant aux fameux décrets présidentiels.
Le cauchemar de Rached Ghannouchi
Malgré ses airs qui se veulent rassurants, Rached Ghannouchi a la peur au ventre. En multipliant les V de la victoire, il veut rassurer sa cour et ses sympathisants. Surtout qu’il a réussi à constituer une ceinture de prétendus défenseurs des droits de l’Homme pour se cacher derrière eux. Continuant ainsi à jouer les victimes, en attendant une hypothétique intervention, non du ciel mais de ses amis américains.
Sauf que ces derniers ont une guerre qui éclate au sein de l’Europe et ne peuvent pas être plus concernés, par le sort des islamistes tunisiens, que par celui de leurs amis ukrainiens. Pour des raisons qui tiennent à la stratégie, ils ne peuvent se permettre de déstabiliser la Tunisie « no member of the Nato », ou pousser KS à se tourner vers les Russes.
R.Gh sait aussi qu’il n’a plus de troupes mobilisables pour descendre dans la rue. Mais, comme un joueur de poker, il tente de bluffer son adversaire. Sauf que ce dernier n’est pas un joueur ni de poker ni d’échecs et ne sait que foncer dans le tas, ce qu’il s’apprête à faire à nouveau.
Bien sûr KS n’a pas de divergences idéologiques avec la formation islamiste. Mais les fautes graves commises par R. Ghannouchi à son égard ont fait de lui un farouche ennemi et un adversaire qui ne recule pas. Sachant qu’il lui est désormais impossible de revenir en arrière ou de se hasarder à laisser Ennahdha revenir au pouvoir. D’où la tendance qu’il a manifestée à les empêcher coûte que coûte à revenir au pouvoir. Serait-il un démocrate dans l’âme?
L’empêchement à tout prix de laisser Ennahdha participer aux prochaines élections guide l’action de KS depuis quelques temps.
Et cette manœuvre explique toutes les mesures adoptées, comme, la dissolution du parlement, celle du haut conseil de la magistrature, dominés, il faut le dire, par les amis de Rached Ghannouchi. Mais aussi le fait qu’il compte tailler un code électoral, uninominal à deux tours, partant des « imadas », à sa convenance. Et surtout une Constitution qui tendrait à donner au Président tous les pouvoirs. C’est un vrai rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage, dont l’objectif est de chambouler les rapports de force politiques en sa faveur.
Les partis visés sont d’abord Ennahdha et ensuite le PDL. Du moins c’est en apparence la seule stratégie politique de KS! Bref concourir presque tout seul. Il est à craindre que le texte même de la future constitution de la nouvelle République ne sera présenté au public que quelques jours avant le référendum. Et ce, pour ne pas laisser les critiques qui ne manqueraient pas de fuser perturber les plans de la Présidence.
Reste à savoir si les citoyens vont aller voter en masse ou s’ils préféreront s’abstenir et aller piquer une tête à la plage ce 25 juillet, qui sera forcément une journée de canicule. Et c’est là où le bât risque de blesser! C’est d’ailleurs pour cela qu’Ennahdha et peut être aussi le PDL risqueraient de boycotter les scrutins de Juillet et de Décembre. En tablant sur une faible participation de l’électorat, faiblesse qui sera interprétée comme un désaveu de KS lui même.
Du côté de Rached Ghannouchi, la position menant au boycott est déjà annoncée. Il a compris l’objectif de KS et fait tout pour l’isoler ou le stopper dans son élan. Mais peut-on sérieusement stopper un bulldozer qui a démarré en trombe?
Au final, ce qui est sûr, c’est qu’on s’achemine vers une situation inédite. Ce qui va accentuer davantage la crise, non seulement politique, mais aussi économique et sociale. Mais le peuple tunisien nous a habitués à surprendre tout le monde et là où on l’attend le moins. Les amateurs de suspense doivent se régaler.