Dans une déclaration à l’Economiste Maghrébin, le président du Conseil de l’Ordre des Experts-Comptables de Tunisie (OECT) Walid Ben Salah revient sur le bilan de la Tunisie en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et l’économie informelle.
Walid Ben Salah s’exprimait en marge d’une conférence de presse pour présenter le programme du colloque international de la Fédération internationale des experts-comptables et Commissaires aux Comptes Francophones (FIDEF) qui se tient aujourd’hui 11 mai. L’expert-comptable affirme qu’il existe des liens entre la lutte contre l’économie informelle et le blanchiment d’argent.
En ce qui concerne, la lutte contre l’économie informelle, notre interlocuteur affirme que la Tunisie n’a pas mis en place une stratégie au vrai sens du terme pour lutter contre ce phénomène.
Il précise que l’économie informelle englobe deux volets. Pour lui, le premier est relatif aux personnes vulnérables qui sont en train de travailler pour vivoter et qui n’existent même pas dans le système. Ainsi ces personnes n’ont ni matricule fiscal, ni couverture sociale et encore moins de lien avec le système bancaire et économique formel. « Il s’agit de personnes vulnérables qui vivent au jour le jour », étaye-t-il. Walid Ben Salah plaide pour une panoplie de solutions qui soit axée sur l’aspect social pour cette catégorie.
« Malheureusement, actuellement, les mécanismes nécessaires ne sont pas pris dans le cadre d’une stratégie globale. Les décrets d’application des lois qui auraient pu aider dans cette perspective n’ont pas encore été publiés; notamment la loi sur l’économie sociale et solidaire ». Dans ce contexte, Walid Ben Salah affirme qu’il ne suffit pas de donner des matricules fiscaux aux catégories vulnérables. Car, selon lui, il faut leur fournir un accès à l’assurance, au financement et à la propriété.
La deuxième catégorie des travailleurs dans l’informel exerce dans des activités illicites comme la contrebande et pas uniquement pour des raisons sociales forcément. « La stratégie de lutte contre ces gens-là doit être différente de la première catégorie. D’ailleurs, il n’existe pas de stratégie de lutte contre cette catégorie », regrette-t-il.
Ainsi, il considère que cette approche doit se baser sur des mesures fiscales, sur le plan financier et sur l’aspect économique et social pour pouvoir les inclure vers le système formel. Il propose, également, qu’il y ait un renforcement au niveau des sanctions pour éviter la récidive. « Il s’agit d’une autre catégorie qui nécessite des mesures beaucoup plus adaptées »,poursuit-il.
Par ailleurs, il précise que ces mesures sont liées par la réforme fiscale « qui a été retardée. Mais aussi la réforme de la douane et le contrôle des frontières qui n’enregistrent pas une progression remarquable. Alors que le contrôle des flux financiers, notamment à travers le decashing et la digitalisation des flux, doit être effectué. Ainsi que la réforme de l’administration au niveau des data, pour pouvoir identifier les gens et pouvoir les contrôler ».
Qu’en est-t-il de la lutte contre le blanchiment d’argent?
Sur ce volet, affirme Walid Ben Salah, la Tunisie est plus avancée. « Le fait d’être classé en 2017 parmi les pays présentant des carences stratégiques dans leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme nous a incités à nous mobiliser pour mettre en place certain dispositif pour permettre l’amélioration du classement de la Tunisie afin de sortir de cette liste noire ».
Tout en reconnaissant l’existence d’un certain nombre d’améliorations, Walid Ben Salah confirme aussi l’existence de défaillances. « Dans quelques mois, les équipes de la GAFI vont effectuer une deuxième évaluation, d’où la nécessite de se préparer dès maintenant », souligne-t-il.
L’expert-comptable rappelle que pour pouvoir sortir de la liste noire, la Tunisie a effectué un certain nombre de modifications de la loi de lutte contre le terrorisme et blanchiment d’argent. De même qu’elle mettait en place le Registre national des entreprises avec les exigences nécessaires. De plus, des professions ont développé des référentiels pour pouvoir lutter contre le blanchiment d’argent.
Dans le même sillage, il indique que les experts-comptables ont des diligences supplémentaires qui doivent être adoptées par rapport aux normes professionnelles; et ce, pour pouvoir lutter et détecter le blanchiment d’argent. « Et cela on l’a fait. C’est ce qui a amélioré le classement de la Tunisie ». En outre, il indique que d’autres professions n’ont pas progressé sur ce sujet, ce qui constitue un risque.
Alors, il pointe du doigt la loi régissant les activités des associations qui n’a été amendée comme il se doit en ce qui concerne le financement. « Le blanchiment d’argent peut transiter à travers les associations. Donc, il faut travailler sur ce plan là », lance-t-il. Il souligne encore l’importance d’avoir plus d’effectivité et de respect pour les lois votées en 2018 et 2019, notamment le RNE.
« Quand le RNE affirme que plus de 200 mille entreprises n’ont pas actualisé leurs données et/ou ne se sont pas inscrites au système du RNE, cela veut dire qu’il existe un problème par rapport à la prochaine notation. La prochaine notation évaluera, également, le degré du respect des lois que nous avons instaurées en 2018 et 2019 et qui ont permis de sortir la Tunisie de la liste noire », prévient-il.