C’est sans sourciller que Rached Ghannouchi déclare, à une télévision turque, que la Tunisie ressemble actuellement dans sa situation politique à la Corée du Nord. Oubliant du coup qu’il s’adresse au public d’un pays, en l’occurrence la Turquie d’Erdogan, qui vit la période la plus noire et la plus dictatoriale de son histoire, mais toujours sans rire. Quel paradoxe! Le culot du président d’Ennahdha atteint donc des proportions jamais égalées. En disant cela, il ne fait qu’attiser le feu de la discorde, qui déjà menace d’embraser le pays.
Même fuite en avant lors du rassemblement que le parti islamiste et ses alliés ont tenu le 15 mai sur l’artère de l’avenue Bourguiba. Puisque l’un des agitateurs a promis à ses supporters, toujours devant les caméras, qu’ils doivent s’attendre à un très grande surprise les jours qui viennent. Insinuant que quelque chose de grave va frapper le pays. Et dans son esprit, c’est quelque chose qui a un rapport avec le slogan, scandé par ces mêmes supporters exigeant le départ du Président de la République.
Comment cela se ferait? Les opposants du « Salut » et des « Contre le coup d’Etat » veulent donner l’impression de le savoir. Et même qu’ils seraient les auteurs de ce qu’on ne peut qualifier que par un « coup d’Etat ».
Abir Mousi, n’a-t-elle pas déclaré que les Américains et les Allemands, en coordination avec les islamistes et leurs alliés, ont décidé d’évincer KS? Et qu’elle et son parti le PDL se préparent à continuer le combat. Non pas pour soutenir KS, mais pour lutter contre le supposé nouveau pouvoir? Et qu’on ne nous dise pas que la présence de quelque 4000 manifestants qu’on a fait transporter aux frais des organisateurs et dont les mines patibulaires, dans leur majorité ne peuvent représenter que la lie de la société, il est vrai « mélangée » à quelques figures importées de la banlieue nord de Tunis pour faire société civile, est derrière cette vague de jusqu’au boutisme, qui enflamme les esprits des opposants à KS!
Les fuites organisées nous poussent à croire que quelque chose de grave se trame. Ce qui est d’ailleurs sur toutes les lèvres et dont les opposants au Président de la République se cachent à peine.
Le paradoxe tunisien
Les critiques contre KS depuis son accession à la magistrature suprême, mais surtout après sa décision de dissoudre le parlement et la constitution, sont légitimes. Et elles se basaient souvent et jusque là, sur un discours légitimiste et qui se veut démocratique. Mais venant de ceux qui ont régné sans partage pendant dix ans et qui n’ont jamais respecté les règles de la démocratie, cela n’avait aucun impact sur la majorité des Tunisiens échaudés par une décennie noire de pouvoir absolu de la confrérie des frères musulmans tunisiens. La preuve? KS continue de caracoler en tête des sondages. Malgré une situation économique et sociale plus que catastrophique. On peut appeler cela le paradoxe tunisien.
Que KS, qui dispose de tous les pouvoirs, n’a rien pu faire pour améliorer le quotidien des Tunisiens, et pour mettre le pays sur la bonne voie de la relance économique et la stabilité sociale. Cela est quasi certain. Mais de là à vouloir le renverser par tous les moyens illégaux, comme l’ont réclamé, Ghannouchi, Abbou, Marzougui et récemment Nejib Chebbi, c’est entraîner le pays dans une aventure dont personne ne connaît l’aboutissement. Car elle mènerait progressivement le pays vers la guerre civile et l’anarchie généralisée.
Les techniques de diabolisation de KS, entamées essentiellement par les fuites organisées des indiscrétions de son ex-principale confidente et ex chef de cabinet, nous rappellent les tristes méthodes utilisées pour diaboliser feu Zine Al-Abidine Ben Ali, juste après son départ.
Comme si les mêmes scénaristes ont repris du service. D’ailleurs toujours relayés presque par les mêmes partis politiques et les mêmes figures de proue de cette machine infernale de déstabilisation par la rumeur, les fakes news, les provocations directes du chef de l’Etat. et dont l’objectif est de le pousser dans le cercle infernal de la répression tous azimuts. Ce dont, ce dernier doit se garder pour ne pas tomber dans le piège. Cette stratégie utilisée maintes fois sous d’autres cieux, sera relayée par des médias internationaux aux ordres, comme c’est le cas actuellement pour Poutine! Même recette et souvent le même résultat.
Le chef d’orchestre de cette campagne de diabolisation n’est que le parti islamiste lui même et son gourou. Une fois encore, il a choisi de pratiquer la politique de la terre brûlée. En entraînant le pays dans la spirale de la violence verbale, qui sera suivie inéluctablement par la violence physique.
Sauf que contrairement à 2011, les troupes islamistes font défaut. Et les amateurs de chocotom, se font de plus en plus rares en plus de la disparition des « comités de défense de la révolution »; et surtout des Ansar al charia. Ceux qui tablent sur un remake de 2011 se trompent d’époque et tout scénario de déstabilisation possible ne peut être que nouveau.
Tout au plus Ennahdha et ses alliés ne peuvent servir que comme agents de déstabilisation et ne peuvent en aucun cas être une alternative. Leurs sponsors savent pertinemment qu’ils sont impopulaires et que leur retour aux affaires risque de mettre le feu aux poudres.
Or pour des considérations stratégiques, la Tunisie doit être maintenue stable, mais sous contrôle. Ce que ne cessent de réaffirmer les portes paroles des puissances « amies ».
C’est le paradoxe tunisien! Et c’est ce que KS ne semble pas comprendre, obnubilé qu’il est par l’extase du pouvoir et obsédé par son illusoire projet populiste. Tout le monde sait que ce projet, pure utopie, n’aura jamais lieu. Car il ne peut servir que comme un prélude à une autocratie à la libyenne, sans évidemment le pétrole. Et que le peuple de la Tunisie profonde ne le laissera jamais passer, échaudé par au moins deux mille ans d’Histoire et une volonté d’aller plus loin dans la modernité politique et dans la démocratie.
A deux mois seulement du référendum annoncé, pas l’once d’une idée sur ce que sera la future constitution. Comme s’il s’agit d’un secret militaire. Alors qu’il n’est question que d’un texte de loi, certes organique, mais d’une loi quand même.
A l’évidence, on ne veut pas faire participer le peuple à la réflexion, comme si on n’a besoin de lui que pour voter. Aux dernières nouvelles, seuls ceux qui soutiennent KS sans aucune réserve seront conviés aux débats. Drôle de façon de concevoir les dialogues qui risquent de tourner au monologue.
Mais alors qui pousserait « le peuple » tant vénéré à aller voter? Par quel miraculeux mécanisme va-t-on inciter ce « peuple » à aller soutenir par un oui massif l’appel du Président? A tant de questions, personne ne se hasarderait à répondre, comme si l’on vit sur une autre planète. Comme le dirait le chef d’État lui-même.
Désormais, autour de lui, ne rôdent désormais que les thuriféraires et les zélés. Tant l’élite pensante qui à un moment l’a soutenu, est désarçonnée et démobilisée. Va-t-on défendre « un chat dans un sac de jute » comme le dit si bien le proverbe tunisien, plein d’humour et de sagesse? Ou alors comme le dit un autre proverbe, toujours tunisien: « Il n’y a point de chat qui chasse pour le bon Dieu ». On en connaît quelques spécimens!
Ce qui est curieux et cela aussi fait parti du miracle tunisien, c’est que certains ont déjà rejeté le texte de la future constitution avant même de le lire. Comme dirait Shaykh Ben Mrad: « Voici un acompte avant de lire le livre ». Il s’agit évidement du grand ouvrage de Taher Haddad, Notre femme, dans la chariaa et la société. Encore un paradoxe tunisien.